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L’étreinte d’une mère protège-t-elle d’un missile?! (3/3)

Journal écrit sous les bombardements à Gaza

Par Issam Hajjaj, publié en arabe, en partie, sur le site Daraj le 19.10.2023

Issam Hajja nous envoie son journal écrit pendant le génocide(1) qui se déroule à Gaza depuis le 7 octobre 2023, traduit par FSD. 

(1) Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau des Droits de l’Homme à New-York.

Manifestation de solidarité avec Gaza devant le palais fédéral le 04.11.2023

Lundi, le 23.10.2023

Il est deux heures après minuit. Je suis secoué d’éveils répétés par bruit des obus qui m’entourent, malgré une somnolence mortelle. Mon cœur souffre de notre condition. Peut-être que la mort sera facile. Peut-être avons-nous perdu la dignité de la mort, ou nous nous y sommes habitués.

Mon cœur ne m’a jamais fait autant mal qu’aujourd’hui et je ne savais pas qu’il existe une douleur pire que celle de perdre quelqu’un.

L’image de Kenzi, quatre ans, ne m’a jamais quitté, l’innocence de son rire et son visage blanc. Kenzi s’est fait voler la main droite par l’occupant, elle a été complètement sectionnée. Son crâne a été brisé, son bassin a été brisé, et nous avons tous été brisés par cela.

Nos destinées sont écrites, ô Dieu, et il n’y a aucune objection à votre sagesse, mais Kenzi méritait-elle cela ?

À 21 heures, Kenzi subissait une opération au bassin et nous ne savons pas quel en a été le résultat. Peut-être que Kenzi a besoin d’une voix pour parler à sa place lorsque ses amis l’appellent pour jouer afin qu’elle puisse dire : « L’occupant m’a volé mes pieds  » Peut-être qu’elle a besoin de quelqu’un pour porter ses pensées innocentes. Lorsque le crâne de Kenzi a été fracturé, nous avons trouvé une photo d’une balançoire sur le sol. Des enfants y jouaient, mais elle n’en faisait pas partie.

Je vis avec l’idée de la mort depuis des jours. J’ai l’impression d’être enfoncé dans la boue. Je nous sens comme dans un gros mensonge auquel je n’arrive pas à croire. J’ai déjà dit que je n’avais pas peur de la mort, mais j’ai peur de me sentir vivant.

Si le monde m’écoutait une minute, ma question serait : pourquoi devons-nous mourir d’une manière si atroce ?

Aujourd’hui, je me sens different des dix-nuits et jours passés. Je suis désemparé, j’ai l’impression que des obus me rongent le cœur. J’ai été très dur avec moi-même tous ces jours, vide de sentiment et j’ai réagi à la douleur des autres en pleurant quelquefois seulement.

Tout ce que je voulais dans ma vie, c’était un peu de sécurité et la réalisation du rêve de ma mère : une maison en rez-de-chaussée avec une cheminée en pierre émergeant du toit de la maison.

Je ne sais pas ce qui nous arrive. Je vis une tragédie avec moi-même.

Mercredi, le 25.10.2023

L’hiver approche. Mes amis et moi avions l’habitude de comparer les rues de la ville de Gaza aux rues de Paris, en nous moquant des mauvaises infrastructures de la ville. En hiver, les quartiers résidentiels sont inondés, l’eau pénètre dans les maisons et parfois les gens doivent se déplacer d’un endroit à l’autre sur des planches. Les canalisations d’égouts sont alors inondées et une odeur nauséabonde commence à se répandre dans toute la zone.

Ceux qui aiment l’hiver l’attendent, tout comme les amoureux qui espèrent vivre un moment unique de leurs sentiments sous la pluie. Parfois, ils arrivent à vivre cette expérience, mais elle est très éphémère, car ils volent leur amour à leurs pères. Ici on ne reconnaît les amants que par le mariage : eux ils volent des baisers et des câlins dans les rues étroites ou dans les cages d’escaliers.

Cette fois, ils correspondent via des messages téléphoniques sous les bombardements israéliens, sans embrassades. Ils font la queue pendant des heures pour de l’eau potable ou devant les boulangeries pour avoir du pain. Il fera très froid, des maisons complètement détruites, des maisons avec des toits et des murs troués, et sans câlins pour atténuer le froid.

De nombreuses familles installent des tentes dans la partie sud de la bande de Gaza.

J’ai appris que les rues de Paris sont pleines de rats et de punaises de lit et que les rues de Gaza seraient plus belles sans ce que fait l’occupation.

De l’endroit surplombant la majesté de Dieu dans le ciel aux dévastations causées par l’occupant, le temps est couvert depuis l’après-midi et la pluie approche, une scène qu’attendent beaucoup d’amoureux de l’hiver et ceux qui ne supportent pas l’été. Cette phrase me manque sur les réseaux sociaux à cause de la température du temps : « Heureux, amoureux de l’été » malgré la contradiction dans le discours. Par exemple, si les amoureux de l’été arrêtaient d’aimer l’été, l’été cesserait-il d’arriver ? Les sons qui détruisent le ciel et la terre de Dieu sont énormes. Je me sens très fatigué à cause du manque de sommeil. Mes oreilles sifflent et ma tête bourdonne.

De cette fenêtre on peut voir, là où la fumée monte, il y a une maison à trois étages qui a été bombardée il y a une semaine, il y avait 8 personnes dedans, et personne n’est venu les en sortir. Aujourd’hui, la Défense Civile est venue et a sortis 4 d’entre eux tombés en martyrs, et 4 y sont restés, car la Défense Civile a fui les lieux, parce que l’occupation continue de bombarder et qu’ils n’ont que le choix de fuir ou mourir.

De la cage d’escalier à l’horizon lointain où la miséricorde de Dieu est plus grande que la miséricorde des humains, je me sens faible. Il semble que la grippe m’aie frappé. Comme d’habitude, je n’aime pas utiliser de médicaments pour m’aider à me remettre. La maladie arrive et puis s’en va comme elle est venue. Je me rétablis tout seul sans intervention car je connais ma capacité à guérir et je n’ai pas confiance dans la fabrication des médicaments. Pour préserver votre santé, vous ne devez pas faire entrer des corps étrangers que vous ne connaissez pas. Pour vous protéger des abandons, vous devez vous entourer de terres saines. J’ai la gorge sèche. Le citronnier derrière la maison m’a offert un fruit pour me faire passer mon impression de gris. 

J’ai l’impression d’être en couple avec une fille qui ne sait pas ce qu’elle veut. Parfois elle veut que nous soyons amis et d’autres fois, elle veut que nous soyons amants, même si nous restons longtemps bloqués et que les trous dans nos cœurs continuent de nous brûler. Au seizième jour de l’agression contre Gaza je me sens en zone grise, je ne suis ni en lieu sûr, ni mort.

Vendredi, le 27.10.2023 :

Vendredi, à 18h15, la séance de palabres chez ma tante s’est transformée en fosse commune. L’occupant israélien a bombardé la maison au-dessus de nos têtes sans avertissement.

Je parlais à mon oncle Adham de Berlin au moment de l’attaque de la maison. Un moment j’étais assis sur une chaise sur le toit de la maison avec ma famille. Un moment plus tard je me suis retrouvé sous les décombres. Je ne sais pas quand nous avons été fauchés. J’ai perdu connaissance pendant quelques secondes, puis j’ai ouvert les yeux. J’avais l’impression d’avoir été enterré vivant parmi des tonnes de fumée dans ma bouche. Le nuage de fumée que je voyais quand les maisons se faisaient bombarder, je m’y trouvais.

J’ai commencé à chercher qui était avec moi au moment de l’attaque : ma sœur, ma cousine, mon cousin, je les ai trouvés et j’ai appelé  mon amie Rif en Jordanie et mon oncle pour que le monde soit au courant de cette attaque barbare. Je suis descendu l’escalier dix minutes plus tard dans un nuage de fumée après que mon frère ait appelé du rez-de-chaussée pour nous m’informer que la voie était libre. Nous sommes descendus au rez-de-chaussée et avons vérifié la présence de tous dans la maison. Tout le monde a dit oui sauf mon père. Nous avons commencé à appeler et à creuser partout jusqu’à ce qu’il entende notre voix. Nous avons commencé à transporter des débris avec nos mains et nos corps brisés pour le faire sortir, les voisins sont accourus nous faire sortir de la maison car il était probable que nous allions être bombardés à nouveau, comme c’est leur habitude sur toutes les maisons. On s’en fichait et nous avons passé une heure à creuser et déblayer les décombres à mains nues jusqu’à le faire sortir. Tout le monde a pris la décision en un instant : on ne sortira pas sans lui car on le sait très bien les secouristes ont peur de la nuit et les ambulances ne fonctionnent pas, et personne ne viendra à lui avant quelques jours en raison du grand nombre de victimes chaque jour.

Nous avons amenés les femmes chez le voisin. Nous avons porté mon père sur la civière et l’avons emmené directement aux urgences de l’hôpital Al-Shifa. À l’hôpital, ils ont prodigué les premiers soins pour une fracture au pied droit et à la main gauche.

Mon père est resté plus de trois heures après que nous l’ayons sorti des décombres sur le sol de l’hôpital sans rien sous son corps pour alléger sa douleur. J’en suis devenu fou et j’ai pris ce que je pouvais prendre autour de moi, parfois par la force et parfois en douceur, pour le soulager. Après plus de cinq heures, nous avons obtenu un matelas pour alléger sa douleur. Au bout d’une heure, il a reçu des points de sutures sans anesthésie à cause du manque de matériel médical et parce que l’anesthésie est réservée à des cas plus sévères que le sien.

L’hôpital Al-Shifa est plein de monde partout, dans les rues, dans les ruelles arrières. Beaucoup ont fui pour se réfugier à l’hôpital, beaucoup de blessés, beaucoup de morts sont au milieu d’une tente dans la cour de l’hôpital. On sent leur odeur à chaque seconde. A l’intérieur de la tente il y a un plateau, un plateau de morceaux de corps, des morceaux de corps d’enfants de Gaza dans un grand plateau.

Le lendemain, ils ont transféré mon père à l’hôpital européen pour lui faire opérer le pied et la main. Après le deuxième diagnostic, nous avons appris que son œil gauche présentait une hémorragie interne, une déchirure de l’iris et une luxation du cristallin. Trois jours sans diagnostic clair de son état, et le lendemain l’opération doit avoir lieu. La main peut avoir un problème nerveux. Le pied aura une plaque. Le fémur aussi théoriquement.

Je m’appelle Issam Hani Hajjaj de Gaza. J’ai quitté ma maison à al-Shujaiya avec ma famille avant qu’elle ne soit bombardée, pour me rendre chez ma tante dans le quartier de al-Zaytoun, et la maison de ma tante a été bombardée sur nous. Je m’appelle Issam de Gaza. J’ai été blessé à la tête et à l’épaule droite. Je n’ai pas encore été examiné car je suis capable de bouger et parce qu’il y a des gens qui sont blessés plus sévèrement que moi. Mon frère s’appelle Ahmed. Son dos a été brûlé. Le nom de ma sœur est Shaima. Elle a miraculeusement échappé à la mort et s’est blessée au pied. Le nom de mon cousin est Ahmed. Il a 8 ans et sa tête a été blessée. Ma tante m’a dit toute une nuit : « Appelle cette histoire le cimetière de la vie, Issam » et ensuite nous avons miraculeusement survécu à ce cimetière … Nous sommes revenus à la maison le lendemain matin et nous l’avons vue, la maison, alors nous avons compris que nous étions des miraculés en sursis grâce à Dieu.

Dimanche, le 29.10.2023 :

Un jour après que la maison ait été bombardée sur nos têtes, j’ai pensé que j’allais écrire sur ce qui s’était passé, puis je me suis dit que rien ne décrirait ce qui nous était arrivé et que mon sentiment de trahison serait écrasant, d’avoir trahi toute la peur, les cris et la mort, en les réduisant à quelques mots. Ce serait trahir ces sentiments.

Il fallait bien que l’un de nous tienne le coup et ne pleure pas. Je sais que pleurer est une miséricorde, mais il n’y a pas le choix. La vie vous impose parfois ce que vous ne pouvez pas supporter. Tout le monde a pleuré et quand mon tour est venu, j’ai retenu mes larmes comme si j’étais mon propre geôlier.

Le troisième jour après le bombardement, j’aurais aimé pleurer comme tout le monde, j’aurais aimé tout trahir et verser mes larmes. Tous mes sentiments piégés, coincés dans ma poitrine. Les cris de mes frères et de mes sœurs. Le regard de ma sœur quand elle a dit à l’ambulancier que mon père était sous les décombres, qu’il vienne et qu’il le sorte. Les pleurs et les cris de ma mère pour mon père. Les regards hagards, le tremblement de leurs mains et tous les gestes avec lesquels nous nous sommes rassurés.

J’aurais aimé pleurer si fort à en oublier qui j’étais.

Lundi, le 30.10.2023 :

Une femme crie aux patients de l’hôpital, elle supplie qu’on lui avance la date de son opération, une pause de plaque à la main gauche.

Mon père n’a toujours pas été opéré. Trois jours après le bombardement de la maison sur nos têtes, il a besoin d’une intervention chirurgicale. L’infirmière lui a demandé de jeûner, pour préparer l’opération, il y a deux jours.

Je suis allé chez le médecin et je lui ai demandé la date de l’opération. Il m’a dit, je ne connais pas la date exacte de l’opération de ton père, ce sera peut-être dans une heure, peut-être demain. Le nombre de blessés augmente à chaque instant et nous arrêtons les opérations pour les urgences. Une autre infirmière dans le couloir plus loin a déclaré au personnel médical :  » S’il n’y a pas d’anesthésiant pour les patients, je ne travaillerai pas. Je ne veux pas torturer les gens. « 

70 cas de fractures nécessitent la pause de plaques chaque  jour, et ici chacun attend son tour. Cet endroit ressemble à une morgue qui ferait la course pour avaler le plus grand nombre de tonnes de chair.

Les infirmières et les médecins sont devenus distants. La froideur des réponses aux questions des patients est douloureuse. Le peuple palestinien vit un état dénué d’âme, un état de grisaille. Vous voulez pleurer mais vous ne le pouvez pas, et en même temps, vous ne pouvez pas vous effondrer.

Depuis trois jours je n’ai pas mangé de pain, jusqu’à aujourd’hui. L’hôpital ici est loin du centre de Khan Yunis et les patients ont besoin d’une alimentation saine. Il y a quelques jours, l’armée a menacé de bombarder un restaurant au centre de Khan Yunis parce qu’il donne de la nourriture aux gens gratuitement.

Mon père dit qu’il ne veux prendre la place de personne. Si l’opération a lieu aujourd’hui, il continuera son jeûne. Si c’est demain, il rompra son jeûne avec des biscuits en attendant.

Encore une fois, j’ai l’impression de trahir tous ces sentiments en écrivant sur ce sujet car c’est plus fort que d’écrire, il suffit de crier.

L’étreinte d’une mère protège-t-elle d’un missile?! (2/3)

Journal écrit sous les bombardements à Gaza

Par Issam Hajjaj, publié en arabe, en partie, sur le site Daraj le 19.10.2023

Issam Hajja nous envoie son journal écrit pendant le génocide(1) qui se déroule à Gaza depuis le 7 octobre 2023, traduit par FSD. 

(1) Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau des Droits de l’Homme à New-York.

Photo de la rue où habitait Issam et sa famille à al-Shuja’iya après leur départ pour fuir les bombardement

Partie 2/3

Lundi, le 16.10.2023

Le vortex du déplacement nous accompagne chaque jour dans un nouvel endroit, et comme le disait Amer Hlehel dans le monodrame « Taha » sur le déplacement forcé des Palestiniens en 1948 : « Nous mangeons, buvons et dormons, mais nous ne voulons pas manger, boire et dormir, nous voulons y retourner. » Taha est revenu du Liban en Palestine, même si le prix du retour était la mort.

Suite à la demande de l’armée israélienne adressée aux habitants de la bande de Gaza de se déplacer du nord vers le sud, au-delà de la vallée de Gaza, la situation s’est intensifiée hier et les gens ont quitté leurs maisons et nous aussi avons quitté la nôtre pour nous mettre à l’abri. En chemin, ils nous ont bombardés. Plus d’une centaine de personnes ont été tuées sur ce trajet, alors que les gens fuyaient la mort vers leur destin.

Nous sommes arrivés dans une maison dans le sud avec une colère dans la poitrine et un chagrin indescriptibles. Nous nous sommes assis sur des chaises en mousse. Quelques instants plus tard, j’ai dit à voix haute : « J’en suis là (et j’ai montré mon nez- signe de ras-le-bol) et je rentrerai à la maison demain ». Ma mère a dit : « En 1948, ceux qui sont restés jusqu’à ce moment n’avaient pas pris la route de l’exode, et l’objectif des Israéliens était l’intimidation. »

Le matin, nous sommes rentrés à la maison et nous essayons maintenant d’obtenir un litre d’essence pour faire fonctionner le générateur électrique, remplir les réservoirs d’eau et charger les batteries afin de pouvoir communiquer avec le monde et savoir ce qui se passe autour de nous. Le propriétaire de la station nous a dit de sang-froid : « On m’a ordonné de ne pas vendre d’essence. » Nous sommes retournés chez ma tante à al-Zaytoun. La maison de ma tante est située près de notre quartier al-Shuja’iya. Cette fois-ci, nous pourrions perdre définitivement la communication avec l’extérieur, mais nous ne quitterons pas la maison, que nous mourrions ou que nous nous en ressortirions vivants.

Mardi, le 17.10.2023

Je n’ai pas peur de la mort, et si le missile doit nous tomber dessus, qu’il soit très cruel et ne laisse rien de moi. La vie est très étroite et la peur te consume si tu la laisses vivre en toi. Elle coule dans ton sang comme un poison.

Nous ne voulons pas nous battre et nous n’aimons pas la mort ni l’odeur du sang, mais c’est ce que le monde nous a imposé. Nous laisserons derrière nous les pensées que nous confions à nos amis, ce que nous avons écrit et tous les voeux sortis de nos coeurs et restés pendants dans nos conversations.

Quiconque qui reste en vie doit bien comprendre que le monde occidental, et une grande partie du monde arabe, n’ont pas vraiment conscience de ce qui nous arrive et ne comprennent pas correctement le cours des événements.

Par conséquent, je vous appelle à œuvrer pour libérer nos esprits arabes de la pensée coloniale afin d’en enlever la poussière accumulée. Je vous appelle à comprendre l’occupation de la pensée et la façon dont elle joue avec les mots. Un seul mot avec un concept erroné peut atteindre les peuples d’une façon qui balaie nos droits.

Les pays qui se réclament de la liberté d’opinion et d’expression sont parmi les premiers à empêcher leurs peuples de soutenir Gaza et la Palestine, et ils savent très bien que leurs dirigeants sont la raison de ce qui nous arrive parce que ce sont eux qui ont implanté Israël au Moyen-Orient.

Nous avons été témoins de beaucoup de morts et il n’y a plus de place pour la peur de la mort, mais nous avons peur de nous sentir vivants.

Cet entêtement les tue, les provoque jusqu’à la folie. Comment un peuple peut-il aimer son pays jusqu’à la mort, comment peut-il donner sa vie pour dire « non » face à l’injustice ?

Depuis des jours, des pourparlers ont lieu pour une trêve humanitaire pour l’entrée de nourriture et de fournitures médicales dans la bande de Gaza, et chaque fois que la population a l’espoir d’ouvrir le passage terrestre de Rafah pour que l’aide puisse entrer, l’occupant bombarde violemment le passage et toutes les rues y menant. Il y a une pénurie de fournitures médicales et l’occupant exige également l’évacuation des hôpitaux. Tout ce qui se passe indique que l’occupant veut humilier le peuple palestinien. Où vont les hôpitaux ? Où vont les blessés et les malades ? Quel désastre nous arriverait-il si nous faisions cela ? Nous subissons déjà des attaques fascistes.

Hier, le ministère de la Santé a ouvert des fosses communes. Les morts sont enterrés sans connaître leurs noms. Leurs familles sont sous les décombres et personne ne les reconnaît car ils sont en morceaux. Nous nous rapprochons d’une catastrophe environnementale et de la propagation des maladies. La première fosse a rassemblé 75 corps et la seconde 35. Tous ceux qui sont morts étaient innocents. Nous sommes innocents. Le peuple palestinien est soumis à un génocide.

Mercredi, le 18.10.2023

Mon amie dit qu’octobre c’est le mois favorable aux Amoureux. En octobre, le temps passe d’une chaleur intense à des brises froides, et quand nous sortons pour passer la soirée entre ami-es, nous prenons un vêtement chaud avec nous pour nous protéger de la brise froide. Celui qui n’en a pas se protège par l’épaule de son ami jusqu’à son retour, pour s’abriter derrière les murs.

La nuit dernière a été très cruelle : l’armée d’occupation a fait du mois d’octobre des amoureux, le mois de la mort des amis. Hier à sept heures du soir, l’occupant a bombardé l’hôpital al-Ma’madani de la bande de Gaza, tuant plus de 500 personnes et en blessant des milliers. Parmi eux, mon ami Mohamad Qariqa qui y a trouvé la mort. Mohamad était un jeune homme grand et beau dont les peintures artistiques exprimaient la brutalité de l’occupation. Mohamad a quitté sa maison à al-Shuja’iya pour se mettre à l’abri des bombardements à l’hôpital al-Ma’madani. Il a laissé toutes ses peintures chez lui, y a laissé son âme et s’est enfui, ne sachant pas que la mort l’attendait.

L’occupant nie le massacre qu’elle a commis et affirme que c’est « Hamas » qui l’a fait, mais l’étendue des destructions dans l’hôpital montre clairement et prouve que c’est les Israéliens qui ont commis ce massacre, et personne d’autre ne pouvait le faire.

La dignité s’est tarie de la face du monde à mesure qu’ils regardaient ce qui se passait. L’arabisme et l’humanisme se sont taris du cœur des gens. Même l’existence de l’Organisation des Droits de l’Homme est devenue comme inexistante parce que les palestiniens, selon elle, ne sont pas des êtres humains.

Aujourd’hui, les jeunes tombent amoureux à Paris, à Berlin et à Barcelone. Mohamad n’était dans aucune de ces villes, mais à l’hôpital al-Ma’madani pour dire au monde : Mes peintures témoignent qu’octobre est le mois de la mort!

Jeudi, le 19.10.2023

Les poules de mon ami Munir, les poules d’ici.

Mon ami Munir a comparé les poules palestiniennes, qui savent s’adapter en toutes circonstances, à des personnes libérées des toxines de la civilisation moderne, et les poules israéliennes aux élèves des écoles et les salles de classe comme des cages dans lesquelles les élèves apprennent. Chaque matin, les poules sortent de la maison des voisins, à la recherche de leur pitance. Elles connaissent bien la maison et y reviennent quand elles sont fatiguées. J’ai pris cette photo à 12h15, alors que je volais un peu d’air et de lumière du soleil. Je n’y suis pas resté longtemps, les poules m’ont poussé à écrire vite et m’ont ainsi protégé des bombardements. Cinq minutes après avoir pris la photo, il y a eu un bombardement près de chez nous et des pierres sont tombées sur nos têtes. Nous pourrions bientôt entendre aux nouvelles de dernière minute que l’armée d’occupation cible les poules de la voisine après avoir exterminé les habitants de Gaza.

La mort se rapproche, les signes de vie disparaissent ici, l’espace de ma mémoire est maintenant plein et je suis sur le point d’oublier les visages de mes amis et les rues de la ville dans lesquelles on se promenait. On prenait la voiture, on descendait au centre ville pour voir les magasins  et suivre des yeux les passants. Maintenant tout a été détruit. Il n’y a plus de rues sur lesquelles déambuler. Les mosquées et les églises ont été détruites, bombardées par l’occupant sioniste.

A 23 heures, au lieu de sentir le parfum des fleurs plantées à la porte de la maison, on sent l’odeur des cendres et du phosphore blanc.

Il y a deux jours nous apprenions que notre maison avait été partiellement bombardée. Aujourd’hui, nous avons appris qu’elle l’avait été entièrement. Nous ne pouvons vérifier l’information, mais nous apprenons aux nouvelles que le quartier de al-Shuja’iya est devenu une ville fantôme, comme l’a décrit le journaliste.

La maison, ce balcon où je dors avec vue sur les jardins des voisins, c’est l’endroit où je veille tard avec les amis, jusqu’à l’aube. On entend les voix des voisins jusqu’à tard. Ce lieu, témoin de toutes mes cicatrices, où j’ai écrit jusqu’à ce que mes doigts me fassent mal. Les canapés turquoises que ma mère a acheté il y a un mois – ma mère a bon goût en tout. Le carrelage mural que mon père avait récemment posé. Le bruit de nos cris qui y résonnent.

Chaque fois qu’un ami entre sur mon balcon, il dit : « quelqu’un a peint le mur en noir. »

Maintenant, toute la maison est en cendre, noire.

Vendredi, le 20.10.2023

À pas lourds, ils m’emmènent à mon ancien refuge, aux recoins de mes souvenirs, et à mes retours après chaque nuit épuisante hors de la maison, lieu des problèmes familiaux et des retrouvailles qui réchauffent le coeur.

La voix lointaine de ma mère nous dit de rapporter de la farine.

Nous sommes rentrés chez nous en voiture. 300 mètres avant de l’atteindre la voiture s’est arrêtée à cause de la route défoncée. Quand j’ai vu la rue, mon visage s’est fermé et mes yeux se sont éteints. Le commentaire du journaliste à la radio selon lequel al-Shuja’iya était devenue une ville fantôme était terriblement vrai. Le choc est apparu sur nos visages et nous a envahi sans crier gare. Sur la route les maisons des voisins étaient vides, certaines d’entre elles à terre et d’autres semblaient s’être érodées avec le temps après avoir été abandonnées, mais la vérité est qu’elles ont été abandonnées par leurs propriétaires pour survivre aux bombardements.

Notre maison est devant moi maintenant. J’ai vu la partie supérieure de la maison vide, tout ce qui se trouvait au sol a été jeté dans la rue par l’explosion. Le mur de la maison était au sol. Dans la maison, il n’y avait plus ni portes ni fenêtres. Mon balcon a été détruit. Le balcon de mon père ainsi qu’une partie du toit de la maison ont été détruits. L’explosion a eu raison de tout. 

Le balcon du père de Issam

Nous avons passé 10 minutes dans la maison et aux environs. Je connais bien la politique de la terre brûlée, je savais que tout ce qui y bougeait serait bombardé et que mes chances de survie seraient de 1%, mais je voulais y aller.

Mon cousin était avec nous. Quand je l’ai regardé, j’ai vu la couleur de son visage changer à cause de la peur. Je me suis souvenu de ce moment, avant de quitter la maison de ma tante, quand elle m’a dit : « Je ne veux pas boire d’eau, pour ne pas porter la culpabilité de ce qui arrivera.» Je me suis alors souvenu que nous étions sortis chercher de l’eau potable.

J’ai appelé mon frère pour ne pas porter la culpabilité de la perte de quiconque, et nous avons quitté la zone en direction de la maison de ma tante, le visage gris.

Il est presque minuit. Le bruit des explosions ne s’est pas calmé depuis 14 jours. Mon frère et moi dormons dans la cage d’escalier. Le reste de la famille dort également à l’intérieur de la maison, près de la cage d’escalier. Nous sommes 16 dans la maison. Chacun de nous a sa propre histoire qu’il racontera un jour. Tout le monde dort sauf l’un de nous qui ne dort que quand nous nous réveillons.

Personne ne sait quand le missile tombera sur la maison. Nous ne savons pas quand la situation va s’aggraver. Nous devrons peut-être déménager une troisième fois. Une personne doit veiller pendant que nous dormons, pour nous réveiller si nous devons nous sauver.

J’avais les yeux collés par le sommeil quand un obus est tombé à proximité, il a décidé de perturber mon sommeil. Les pierres ont heurté la porte de la cage d’escalier.

Je voudrais tant dormir l’esprit tranquille sans ressentir le besoin de fuir un obus qui me poursuit partout où je vais.

Je m’appelle Issam, je viens de Gaza, je tente de dormir dans la cage d’escalier, je réclame auprès de l’organisation des droits de l’homme mon droit de dormir sans que les obus n’attaquent ma maison. Ceci n’a pas de sens.


A venir: La maison de la tante de Issam Hajjaj, où ils ont trouvé refuge, a été bombardée le 27 octobre et plusieurs parmi elleux ont été bléssé-es.

L’étreinte d’une mère protège-t-elle d’un missile?! (1/3)

Journal écrit sous les bombardements à Gaza

Par Issam Hajjaj, publié en arabe, en partie, sur le site Daraj le 19.10.2023

Issam Hajja nous envoie son journal écrit pendant le génocide(1) qui se déroule à Gaza depuis le 7 octobre 2023, traduit par FSD. 

(1) Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau des Droits de l’Homme à New-York.


Tableau de Mahmoud Salameh, artist palestinien syrien

Partie 1/3

Nous ne voulons pas nous battre et nous n’aimons pas la mort ni l’odeur du sang, mais c’est ce que le monde nous a imposé. Nous laisserons derrière nous les pensées que nous confions à nos amis, ce que nous avons écrit et tous les voeux sortis de nos coeurs et restés pendants dans nos conversations.

Je m’appelle Issam Hani HAJJAJ, originaire de Palestine. Je suis né dans le quartier de al-Shuja’iya à Gaza. J’ai 27 ans. J’ai étudié la littérature anglaise et j’écris de la poésie depuis 2014. J’ai travaillé comme formateur en écriture créative pour les enfants de la bande de Gaza. et je travaille depuis 2020 en tant que coordinateur sur le projet « Voisinage », avec l’éducateur Munir Fasheh. Le projet est un moyen éducatif alternatif pour les universités et les écoles, ces institutions qui tentent de propager, en Palestine mais aussi ailleurs, des toxines par le biais de programmes scolaires traditionnels rigides. J’ai vécu 6 guerres dans la bande de Gaza. De nombreux amis et parents ont été tués par l’occupant israélien, parce que nous défendons notre droit à la vie, qui nous a été retiré par l’occupant.

J’écris pour que le monde apprenne la légitimité de la cause palestinienne, mais aussi les crimes et les massacres que l’occupant commet depuis 75 ans. J’écris pour que le monde sache que nous sommes privés de nos droits les plus fondamentaux à la vie et à la sécurité. J’écris aussi pour dire qu’il m’est impossible de voyager et donc d’informer le monde de ma juste cause sauf à travers mes mots. J’écris pour que le monde connaisse notre véritable histoire, pour raconter que l’occupation israélienne déforme notre image devant le monde tout entier et que nous avons le droit de nous défendre.

J’écris derrière les vitres qui surplombent notre jardin tapissé de dattes qui tombent du palmier. Ce palmier a été planté il y a de nombreuses années par mon grand-père, décédé il y a deux ans à l’âge de 80 ans, plus âgé que l’occupation israélienne. J’aurais aimé dire que ma matinée ressemble au jasmin qui couvre notre maison, mais les sons des bombardements vous arrachent le moindre sentiment de douceur et jettent la frayeur dans votre cœur. Les cris des enfants courant vers les bras de leurs mères, pensant que cette étreinte les protègera des avions de l’occupant, mais si même les pierres sont détruites, que pourra contre un missile l’étreinte d’une mère ?!

J’adore écrire et en écrivant j’ai l’impression de posséder le monde. J’ai une collection de poèmes qui n’a pas encore été publiée et j’écris actuellement un livret sur le récit palestinien et sur la manière d’exporter le récit palestinien dans le monde, sans distorsion. Si je devais me définir en un mot, ce serait « le méditant ». Je réfléchis au passé afin de construire une nouvelle compréhension du présent et d’être partenaire dans la création de sens. Mon ami Mounir Fasheh et moi-même travaillons avec plusieurs groupes à travers le monde pour introduire formellement le programme « Voisinage » (en arabe: Mujawara) dans les universités et les écoles. L’Université de Birzeit a accepté le principe d’intégrer le « Mujawara » comme partie officielle de ses méthodes. De par ce programme, nous travaillons à libérer la pensée, et non à la liberté de pensée, et à apprendre à connaître les êtres que nous sommes et à nous accorder la reconnaissance, ceci grâce à la sagesse.

Je rêve que mon histoire parvienne au monde. Je suis maintenant assiégé à Gaza dans le quartier al-Zaytoun avec ma famille et celle de ma tante, après avoir tous été déplacés de notre maison à al-Shuja’iya.

Photo de Issam Hajjaj

Samedi, le 07.10.2023

Une nouvelle menaçe Gaza toute entière, suivie par le début des bombardements israéliens. Bombardements aléatoires, sans pitié ni avertissement. L’occupant israélien prétend devant le monde qu’il met en garde les civils avant de bombarder leurs maisons, et que tout ce qui est bombardé est lié à la résistance! Mais ceux qui sont morts étaient en majorité des enfants et des femmes, et ils étaient dans leurs maisons. Leur seul défaut est qu’ils sont Palestiniens! Aujourd’hui, tu seras tué devant le monde tout entier, juste parce que tu te défends.

Pendant la journée, il y a un calme relatif, mais tout peut s’embraser d’un instant à l’autre. La nuit, lorsque les lumières de la ville s’éteignent, contre notre volonté, les routes prennent feu sous les explosions et des flammes s’en élèvent. Le délai entre deux explosions n’excède pas cinq à dix minutes, et on peut imaginer le bruit de l’explosion, cent fois plus fort la nuit que le jour, tandis que des êtres déjà pétrifiés sont frappés par la mort qui tombe de partout.

Dimanche, le 08.10.2023

Ceux qui ont survécu ont survécu, ceux qui sont morts sont partis mais leur souvenir reste. Un autre jour commence avec encore plus de brutalité. L’armée israélienne envoie des messages aux Palestiniens de Gaza leur disant de se rendre dans les abris connus; elle informe le monde entier qu’elle les traite avec humanité (en leur  indiquant les abris). Mais ce que le monde ne sait pas, c’est qu’il n’y a pas d’abris à Gaza! L’absence d’abris pousse la population à se réfugier dans les écoles de l’UNRWA, qui sont également ciblées. A quatre heures de l’après-midi, l’armée ordonne aux gens de se rendre au centre de la bande de Gaza, et la nuit venue, elle commence à bombarder le centre de la bande de Gaza. La nuit, elle leur ordonne de quitter leurs maisons, puis elle bombarde de nouveau le centre de la bande de Gaza! C’est quoi cette folie ? Quelle forme de terreur l’occupant tente-t-il de semer dans les cœurs des enfants et des mères ?

Lundi, le 09.10.2023

Je sens une odeur bizarre, j’ai l’impression que mes poumons vont exploser à tout moment, j’ai des douleurs étranges dans tout mon corps, cela signifie qu’on nous a frappés avec du phosphore, interdit au niveau international! L’armée israélienne demande une nouvelle fois aux habitants de la bande de Gaza de partir pour l’Égypte et, au même moment, elle bombarde le passage terrestre de Rafah (le passage avec l’Egypte). Il n’y a ni eau, ni électricité, ni internet, tandis que le centre de la ville, où convergent les flux de la population, a été complètement détruit, et toute aide a été interrompue, et le monde reste silencieux sur ce massacre. 

D’ici, nous disons au monde entier : vous ne savez peut-être pas que c’est notre droit de nous défendre, peu importe à quel point vous essayez de déformer l’image du Palestinien dans le monde. C’est notre droit, depuis que l’occupant sioniste a commencé à nous tuer et à nous imposer des déplacement forcés, en 1948, et à nous voler nos terres. Les dirigeants du monde le savent et ils ont également leur part de responsabilité dans cette occupation. Certaines personnes savent ce qui se passe, tandis que d’autres, la plupart, sont absentes et ne connaissent pas la vérité, mais cela ne peut en aucun cas annuler notre droit à nous défendre, quoi qu’il arrive!

Mon grand-père, qui a planté des palmiers devant notre maison avant sa mort, a refusé de quitter la maison lors de chaque agression contre la bande de Gaza, et nous ne partirons pas non plus par la force.

Mercredi, le 11.10.2023

Il est dix heures du soir, mon frère et moi sommes allongés parterre, vers les escaliers de la maison, et la porte devant nous est entrouverte pour que la brise puisse entrer et que nous puissions sentir un peu nos âmes. Il est dix heures, ce qui signifie que le rythme des bombardements a commencé à s’intensifier et que les bruits sont devenus plus forts qu’ils ne le sont pendant la journée. Nous entendons également des cris au loin, peut-être la voix d’un civil dont la maison a été bombardée ou le bruit de personnes fuyant leurs maisons vers la rue ou vers une autre maison qui pourrait être bombardée plus tard.

En pensant, j’ai marmonné à voix basse : Comment le monde peut-il comprendre le sens de cette agression sans en faire l’expérience? Je me souviens de mon amie, lors de l’agression de 2014, lorsqu’une délégation étrangère est venue à Gaza. Des amis leur parlaient de la brutalité des voix que nous entendions et de l’horreur des tueries et du sang qui coule, mais ils ne pouvaient pas l’imaginer. Ensuite, mon amie a mentionné sa peur d’aller aux toilettes pendant la guerre et sa peur de voir son chat mourir sous les bombardements. A ce moment, la délégation a commencé à ressentir un peu la cruauté de l’agression, parce que la mort et la douleur ont, eux aussi, des normes.

Depuis 8 mois, j’essaie d’économiser de l’argent pour voyager et terminer mon master afin de pouvoir construire un avenir meilleur pour moi et ma famille. Durant ces mois, j’ai pu économiser à peine 500 $, et en un jour tout a basculé, et mon rêve de voyager pour étudier a quitté ma poitrine et il est passé au stade de l’agonie. Ma seule préoccupation est devenue de sortir vivant de cette agression. J’ai commencé à dépenser ces économies, et c’était comme si le rêve s’effaçait peu à peu sous mes yeux.

Ce monde est brutal, avec toutes ses lois, parce que ressentir la douleur des autres obéit à des normes particulières, qu’il faut maîtriser avant de savoir accepter que, dans cette partie du monde, il y a de l’espoir, dont nous essayons de nous armer, mais vous tuez cet espoir! Si vous voulez redéfinir la douleur à votre convenance, alors vous vous dépouillez de votre humanité et vous vous alignez sur la civilisation moderne qui essaie, toujours, de mettre l’humanité dans un moule rigide.

Jeudi 12.10.2023

Après plusieurs tentatives pour dormir et surmonter les bruits des explosions, le froid glacial vient me réveiller pour me rappeler de ne manquer aucun bombardement. Aujourd’hui, un nouveau massacre dans les tours al-Karama à Gaza a lieu. Les gens appellent les ambulances, mais la zone est toujours sous les bombes. Les informations parlent de personnes brûlées sans qu’aucun secours ne puisse les atteindre, alors que les bombardements n’ont pas cessé et que le phosphore blanc et les missiles à secousses  nous détruisent.

En ce moment, à cause du froid et de brûlures dans la poitrine, en conjonction avec le bombardement de la rue al-Rashid, je me souviens de la mer. Chaque hiver, je ressens des douleurs dans la poitrine dont je ne connais pas la cause. Je n’ai jamais su pourquoi, malgré les nombreux examens que j’ai eu. La rue al-Rashid, surplombe la mer. On l’appelle la Corniche, qui est l’unique débouché pour la population de Gaza. Elle est violemment bombardée!

Avez-vous une mer ?

Le café au bord de la mer qui est notre lieu de rencontre entre amis depuis des années, et qui est témoin de nos voix, de nos cris, de nos rires, de nos pleurs et de nos plaintes, est en train d’être bombardé! L’endroit où les amoureux se rencontrent secrètement et où l’on apprend à tenir la main de notre bien-aimée est bombardé pour la première fois!

Entre chaque mot que j’écris, j’entends le bruit d’une explosion, et pendant que j’écris, je reçois un message de mon ami Muhammad de Nuseirat, me disant que quatre maisons autour de chez moi sont menacées par les bombardements et que les habitants de tout le quartier ont été forcés au déplacement. D’un instant à l’autre, il y a la mort et le déplacement forcé. Notre ami se demande qui a transformé les écoles en abris ?

Les écoles, bien que leur objectif soit éducatif, en particulier celles de l’UNRWA vers lesquelles se déplacent les résidents, sont un autre visage de l’occupation qui contrôle les esprits et de la discrimination. Ils injectent du poison dans les programmes scolaires et empêchent les étudiants de faire preuve de quelque manière que ce soit de leur solidarité avec la cause palestinienne. L’occupation ne se limite pas au contrôle militaire, mais elle tente également d’exercer un contrôle éducatif jusqu’à ce que la race palestinienne soit éradiquée à la racine.

1974 est une année marquée par ce type d’occupation! Je suis né en 1996 et je ne suis pas tombé dans le piège de l’occupation éducative.

Vendredi le 13.10.2023

Le 10 octobre, c’était l’anniversaire de ma mère. Depuis notre déplacement forcé de notre maison située dans le quartier al-Shuja’iya, ma mère reste assise sur une chaise. Le jour de son anniversaire, elle a dit : « Si chaque mère cache son fils, qui défendra la terre ? »

Cette question me rappelle d’autres paroles d’elle. Elle avait l’habitude de nous dire: « Faites vos ablutions avant de quitter la maison. Vous ne savez pas ce qui va vous arriver. » Ma mère a confié son destin à Dieu depuis longtemps, et cela explique ma force psychologique pour faire face à ce qui arrive. La situation est catastrophique. Je ne le nie pas. La mort est partout, les cris montent dans la ville. Ce sont des faits bien  réels que j’entends et que je vois. Il y a aussi une déclaration du ministère de la Santé qui dit :  » Il y a une pénurie de sacs pour les cadavres. ». Mais ça c’est simple, les pays arabes enverront davantage de sacs!

Ma cousine essaie de briser la morosité de la mort avec un gâteau d’anniversaire tout en respectant le caractère sacré de la mort. Ce que je crains, c’est que le gâteau soit réduit en cendres parce que l’occupant assassine la vie, alors que nous aimons la vie et résistons à la mort. Mais ma mère a remplacé le gâteau d’anniversaire par son testament : « Si chaque mère cache son fils, qui défendra la terre ? ».

Nous sommes soumis à un génocide à la vue de tous, et tout ce que j’ai envie de dire, c’est que le spectre de votre culpabilité vous hantera alors que nous serons entre les mains de Dieu.

Samedi 14.10.2023

Nous sommes maintenant dans la maison de ma tante, la maison dans laquelle nous avons été déplacés pour fuir l’agression contre Gaza. À chaque instant, nous entendons les cris des femmes et des enfants dans les rues, venant de loin, comme un monstre dévorant nos âmes.

A quatre heures de l’après-midi, l’armée a appelé la famille du voisin, lui ordonnant d’évacuer la maison, et après des heures de stress, elle n’a pas bombardé. C’est un piège, une guerre psychologique : ils poussent les familles dans la rue la nuit et sèment la terreur dans leurs cœurs pour qu’elles détestent cette terre et la quittent pour toujours.

Il est maintenant huit heures du soir. Nous faisons ensemble la prière du soir. Nous entendons le bruit des enfants et des femmes qui crient dans la rue. Mon cousin a ouvert la porte de la maison et il est entré rapidement. J’ai terminé ma prière et j’ai regardé à ma gauche, il y avait là dix enfants pleurant à briser le cœur. Une fille parmi eux pleurait amèrement, et quand nous lui avons naïvement demandé pourquoi, elle a répondu qu’elle avait perdu ses chaussures dans la rue alors qu’elle fuyait la mort, elle voulait retourner les chercher. Je me suis mis à pleurer. Oh mon Dieu, comment pouvons-nous dire à une enfant que ce qui arrive est plus gros que la perte d’une  paire de chaussures et que nous ne pouvons pas sortir les chercher ? Comment lui dire que nous pouvons acheter une nouvelle paire mais que nous ne pouvons pas acheter la même ? Comment lui expliquer comment le monde nous a laissé tomber et nous laisse mourir ?

Dimanche 15.10.2023

En l’an 2002, le hasard a voulu que mon chemin croise celui de l’un des combattants assiégés dans l’église de la Nativité. Cet homme comprenait bien la situation. J’ai rarement entendu quelqu’un parler comme lui. Il comprenait  ce qui se passait autour et il était bien conscient de la lâcheté des régimes arabes. Après le siège de l’église, Israël a trouvé une solution en déplaçant tous ceux qui étaient assiégés vers des pays européens, mais Abu Ammar (Yasser Arafat) a refusé cette solution. Ils étaient nombreux, 100 personnes parmi eux ont été forcées au déplacement, les scènes étaient sanglantes, les corps des martyrs couvraient la place de l’église, pendant des jours ils mangeaient des feuilles et sont restés sans boire .

Nous avons essayé de dormir un peu pour donner à notre corps une chance de se reposer au cas où nous serions obligés de bouger à nouveau. Nous nous sommes endormis au son des obus et nous nous sommes réveillés également avec eux. Quelques instants après la prière de l’aube, le jeune homme et sa famille ont quitté la maison et la petite fille a couru dans la rue pour chercher ses chaussures perdues hier en s’en fuyant.

L’armée israélienne, à travers des bulletins d’information, demande à la population du nord de la bande de Gaza, qui compte 1,01 millions de Palestiniens, de se diriger vers le sud. Ce qui est inquiétant dans cette affaire, c’est que les Nations Unies, par SMS, ont informé leurs employés et ceux du Croissant-Rouge de quitter le nord de la bande de Gaza vers le sud. Personne ne clarifie la réalité de cette affaire. Personne ne sait si cela est juste une guerre psychologique, mais il y a un délai de 24 heures pour partir.

Les gens ont peur, ils ne veulent pas croire que ce qui se passe n’est que de l’intimidation, mais nous avons déjà vécu ce désastre, et c’est ce qui provoque la peur. En 2014, lorsque le Front Interne nous avait demandé de ne pas quitter al-Shuja’iya, nous avons vécu les massacres les plus horribles. La douleur nous a donné une leçon.

Nous vivons la farce du déplacement forçé devant le monde tout entier depuis 1948. Le monde tout entier est complice et veut se venger de nous. Pourquoi ce déni de la réaction mondiale et arabe ?

Oh mon Dieu, Muzaffar al-Nawab(1) me manque, ses mots violemment dénonciateurs me manquent, parce qu’ils satisfont quelque chose en moi ou peut-être qu’ils apaisent ma colère.

Les régimes sont corrompus, les peuples sont nus maintenant, mais ils sont capables de changer la donne, et l’histoire n’est pas si importante face à la question que Dieu te posera, qu’as-tu fait ?!

(1) Poète arabe d’Irak connu pour ses poèmes critiques envers les régimes dictatoriaux dans le monde arabe. https://en.wikipedia.org/wiki/Muthaffar_al-Nawab (note de FSD)


A venir: La maison de la tante de Issam Hajjaj, où ils ont trouvé refuge, a été bombardée le 27 octobre et plusieurs parmi elleux ont été bléssé-es.