Le Croissant Rouge Arabe Syrien est-il un partenaire crédible pour l’aide humanitaire en Syrie?
Une lettre ouverte a été adressée, le 6 mars 2023, par Free Bar Association et Femmes Syriennes pour la Démocratie, à Mme Mirjana Spoliaric Egger, présidente du CICR et à M. Ignazio Cassis, conseiller fédérale et chef du Département des Affaires Etrangères de la Confédération helvétique, ceci à l’occasion de l’annonce de la tenue de la conférence des donateurs en faveur des victimes du séisme en Turquie et en Syrie, organisée par le conseil de l’Union Européenne le 16 mars 2023. Dans cette lettre du 5 mars 2023, la seule demande adressée à la Suisse et au CICR est d’oeuvrer pour l’exclusion du Croissant Rouge Arabe Syrien (CRAS) à cette conférence. En effet, le CRAS est lié directement au régime Assad et ses actions sont dirigées par les services de renseignement du régime syrien qui a commis des crimes de guerre et des crimes contre l‘humanité.
FSD
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Monsieur le Conseiller fédéral, chef du DFAE,
Madame la Présidente du CICR,
Nous souhaitons, par la présente, attirer votre attention sur une lettre de l’union des avocats libres de Syrie qui a été adressée au Président du conseil européen le 3 mars 2023. Vous trouverez, ci-joint, la lettre originale en arabe ainsi que sa traduction en français. Par ailleurs, un groupe de juristes syriens et syriennes en France a également initié une action intitulée « Le Croissant Rouge Syrien, le bras d’Assad pour les violations » à l’attention du parlement français et du parlement européen, accompagnée d’une pétition.
Ces actions mettent en garde contre toute invitation du Croissant Rouge Arabe Syrien (CRAS), impliqué directement ou indirectement dans les violations des droits humains en Syrie, à participer à cette conférence comme un acteur principal dans l’aide humanitaire aux victimes du séisme en Syrie. Une telle invitation constitue une reconnaissance d’un régime criminel (1) qui a mené une guerre de douze ans contre sa population et qui a commis des crimes atroces contre l’humanité ainsi que des crimes de guerre. Elle met aussi en danger une distribution juste et efficace de l’aide adressée aux victimes syriennes du séisme. En effet, le CRAS est une organisation qui agit sous le contrôle du régime syrien et toute distribution de l’aide humanitaire via le CRAS sera en grande partie détournée (voir le rapport récent du Réseau Syrien des Droits de l’Homme (2), le témoignage récent d’une employée allemande du Croissant Rouge Kurde(3), The Guardian 2016(4) ).
Aujourd’hui, nous demandons à la Suisse et au CICR d’intervenir pour l’exclusion du CRAS de la conférence des donateurs du 16 mars 2023.
Nous sommes parfaitement conscients que le CICR travaille étroitement avec le CRAS à l’intérieur de la Syrie comme l’exige ses principes d’action dans l’aide humanitaire. Néanmoins, il peut éviter d’enjoliver l’image d’un régime criminel en ne cautionnant pas la participation cette organisation qu’il a lui-même reconnu précédemment comme organisation sous le contrôle du régime (5).
En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous porterez à cette lettre, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, Madame la Présidente du CICR, nos salutations distinguées.
Signée par le représentant en Suisse de l’Union des Avocats Libres et par une membre de Femmes Syriennes pour la Démocratie.
(1) En arabe: https://www.syria.tv/عن-الهلال-الأحمر-السوري-مشاركاً-بمؤتمر-المانحين-في-بروكسل
Le président du CRAS profite du séisme pour appeler à la levée des sanctions économiques sur le régime Syrien: https://twitter.com/SYRedCrescent/status/1623058576075005953?s=20
Voir aussi l’article: Le Croissant Rouge et le Régime Assad
(5)

Traduction en français de la lettre originale en arabe
Lettre de l’Union des Avocats Libres en Syrie
Adressée au Président du conseil européen M. Tobias Billström
Monsieur le Président du conseil de l’Union Européenne,
Nous vous adressons nos salutations de droit et de justice.
Notre union des avocats libres en Syrie vous exprime son appréciation et sa reconnaissance pour votre intérêt pour la cause du peuple syrien et pour vos efforts pour alléger les souffrances humaines des syrien.nes suite à la catastrophe dûe au séisme qui a récemment frappé le nord de la Syrie.
Nous souhaitons tout d’abord préciser que l’aide humanitaire qui a atteint les zones touchées dans le nord-ouest est encore très limitée et ne répond pas aux besoins.
Nous voudrions également attirer votre attention sur le danger que présente l’éventuelle participation du Croissant-Rouge Arabe Syrien (CRAS) en tant que représentant des Syriens à la Conférence des donateurs qui se tiendra à Bruxelles le 16 mars. Nous précisons en particulier qu’il est très dangereux d’impliquer le CRAS dans l’acheminement de toute aide destinée aux Syriens affligés par cette catastrophe. Cette organisation est affiliée au régime Assad et opère sous les directives des services de renseignement syriens. Elle est même accusée d’avoir contribué à verser le sang des Syriens, selon les rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch.
Par conséquent, nous vous demandons d’empêcher sa participation à cette conférence et d’éviter de lui remettre toute aide humanitaire, car cette aide sera détournée pour financer les tueries et la répression que le régime terroriste continue de mener contre la population syrienne.
Nous appelons également à envoyer davantage d’aide dans les zones touchées du nord-ouest de la Syrie.
Avec notre sincère respect et appréciation.
Union des Avocats Libres en Syrie
Syrie, 02.03.2023
Quel avenir pour l’aide humanitaire à Idleb?
Une lettre ouverte a été adressée, le 2 février 2023, par plusieurs organisations syriennes ou amie du peuple syrien, à M. Ignazio Cassis, conseiller fédérale et chef du Département des Affaires Etrangères de la Confédération helvétique. C’est à l’occasion de l’entrée de la Suisse au Conseil de Sécurité que les Syrien.nes de Suisse ont pris l’initiative de rappeler à la Suisse qu’elle a un rôle important aujourd’hui pour sauver les civils dans le nord syrien d’un éventuel veto russe relatif à l’aide humanitaire, mais également pour empêcher une nouvelle attaque chimique en Syrie.
Femmes Syriennes pour la Démocratie a initié cette lettre qui a été co-signée par six organisations et des dizaines de Syrien.nes de Suisse.

Monsieur le Conseiller fédéral, chef du DFAE,
Nous vous demandons d’oeuvrer pour que la question de l’aide humanitaire et des passages d’acheminement vers la Syrie soient confiés à l’Assemblée Générale de l’ONU, loin du Conseil de Sécurité et de ses droits de veto pour donner à l’Assemblée Générale les moyens indispensables pour acheminer l’aide humanitaire.
Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt le début des actions de la Suisse en tant que membre élu au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Comme vous pouvez l’imaginer, les Syrien.nes concerné.es par le sort des quatre millions de personnes piégées dans le nord-ouest du pays attendaient avec anxiété l’issue de la prolongation de la résolution relative à l’acheminement transfrontalier de l’aide humanitaire via le seul passage encore ouvert de Bab el-Haoua. Nous avons donc été soulagé.es d’apprendre que la résolution 2672 a été votée à l’unanimité le 9 janvier 2023. Toutefois, comment attendre avec sérénité le prochain vote de juillet 2023? Nous craignons en effet que le dernier des quatre passages (1), octroyés en 2014, ne soit à son tour fermé et que les quatre millions de personnes piégées dans la région d’Idlib ne soient abandonné.es comme l’ont été les déplacé.es du camp Rukban (2), dans le sud du pays, suite à la fermeture du passage Ramtha en janvier 2020, sous la pression de la Russie.
Est-il normal que la survie de ces quatre millions de personnes, dont la moitié sont des enfants, ne dépende que des décisions des membres les plus puissants du Conseil de Sécurité qui possèdent un droit de veto sur leurs vies?
Dans tous les conflits armés le droit international coutumier reconnait le droit de tous les civils à toute l’aide nécessaire à leur survie, pourquoi alors laisser les civils Syriens à la merci d’un veto russe qui décide de leur survie, désormais deux fois par an (3)? Cette situation est insupportable pour tou.tes les Syrien.nes concerné.es par la catastrophe humanitaire en Syrie. Nos parents sont là-bas, et nous vivons tous dans la crainte d’un veto russe qui mettrait fin à l’acheminement de l’aide humanitaire pour quatre millions de nos compatriotes.
Il nous semble important de rappeler ici que la majorité de ces personnes, qui viennent de toutes les régions de Syrie, ont déjà subi plusieurs déplacements forcés pour fuir les sièges, les famines provoquées, les bombardements, les arrestations, la torture et les disparitions forcées avant de se retrouver pris en piège dans ces camps. Iels ont été forcé.es de quitter leurs maisons, leurs villes et villages parce qu’un jour iels ont trouvé le courage d’oser le rêve d’une future Syrie démocratique qui protège ses citoyens et garantit leurs droits, quelles que soient leurs appartenances ethniques ou religieuses. Ce rêve d’un Etat de droit en Syrie leur a valu une répression sanglante d’un régime tyrannique secondé par les milices shiites libanaise, irakienne et surtout iranienne, soutenues par l’aviation russe qui a détruit l’essentiel des infrastructures. Et vous n’êtes pas sans savoir que les Syrien.nes font face aujourd’hui au COVID, mais aussi au Choléra, maladies qui se propagent d’autant plus vite qu’il y a absence de vaccins et d’eau potable.
Cette catastrophe syrienne perdure depuis plus de 11 ans dans le silence le plus assourdissant de la communauté internationale, qui prend sa complexité pour excuse!
L’OIAC de l’ONU vient de publier son 3e rapport (4) qui rend le régime Assad responsable de l’attaque chimique de 2018 sur Douma. Dans son communiqué du 27.01.2023 (5), le Directeur général de l’OIAC, Fernando Arias dit « Le monde connaît désormais les faits – il appartient à la communauté internationale d’agir, à l’OIAC et au-delà ». La communauté internationale va-t-elle prendre les mesures nécessaires pour empêcher d’autres attaques chimiques, qui pourraient cette fois cibler la population dans le nord-ouest de la Syrie, dont beaucoup sont des survivants des attaques chimiques à Douma (2018), à Khan Cheikhoun (2017) et à al-Ghouta (2013)?

Monsieur le Conseiller fédéral, dans votre discours du 12 janvier 2023 au Conseil de Sécurité à New York vous avez mentionné le passage suivant:
Notre Constitution suisse dit que « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». L’état de droit nous protège toutes et tous, que nous soyons un Etat petit ou grand, un individu fort ou faible.
Pourtant il est évident qu’au sein de la communauté internationale les membres les plus puissants écrasent les plus faibles, et même les populations déracinées et dans le besoin, en particulier en usant abusivement du droit de veto, directement ou comme moyen de chantage, au sein du Conseil de Sécurité!
Aujourd’hui, nous demandons à la Suisse une action concrète et rapide pour rendre à l’aide humanitaire son humanité et pour empêcher que le droit international ne soit davantage bafoué en Syrie. Une action qui mette fin aux blocages politiques de l’aide humanitaire par les membres les plus puissants du Conseil de Sécurité!
En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous porterez à cette lettre, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, nos salutations distinguées.
Femmes Syriennes pour la Démocratie, le 02.02.2023.
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(1) En 2014, le Conseil de Sécurité a autorisé l’acheminement transfrontalier de l’aide humanitaire via quatre passages dont Bab el-Haoua et Bab el-Salam au nord, Yaroubiyé au nord-est et Ramtha au sud de la Syrie (résolution 2165). En 2020 le nombre de passages autorisés a été réduit à un seul (résolutions 2504 et 2533).
(2) Le Camp Rukban a vu le jour en 2016 pour accueillir les 70’000 déplacé.es qui fuyaient la répression, ceci suite à la décision de la Jordanie de ne plus recevoir de réfugié.es syrien.nes. Depuis 2020, ils sont livré.es à elles/eux mêmes en l’absence de toute aide humanitaire transfrontalière. Aujourd’hui il n’en reste que 8’000 qui vivent dans des conditions inhumaines dans le désert!
(4) https://www.opcw.org/sites/default/files/documents/2023/01/s-2125-2023%28e%29.pdf
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Co-signataires:
Les organisations:
UOSSM, Union des Organisations de Soins et Secours Médicaux
Syrian Network for Human Rights
Syrian Center for Legal Studies and Research
Revivre, association d’aide aux réfugiés syriens et aux détenus d’opinion en Syrie
Free Bar Association in Syrian Arab Republic
Les Syrien.nes de Suisse:
La liste de 64 noms de syriens de Suisse co-signataires de cette lettre a fait partie de la présente lettre.
Pour une position unifiée du peuple syrien en révolution
Au vu de ce que la Russie, partenaire du régime d’Assad dans ses crimes a fait et continue de faire en faisant obstruction au Conseil de sécurité de l’ONU, en empêchant l’ONU de prendre des mesures concrètes pour résoudre le problème syrien par une solution juste et en inhibant son rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité mondiale en Syrie, et récemment en Ukraine, et au vu des événements récents sur la scène internationale et des changements importants qui se profilent à l’horizon et des répercussions qui en découleront, il est nécessaire de faire entendre notre voix syrienne unifiée et forte.
Nous remettons cette note politique et juridique entre les mains des Syrien.nes pour ceux et celles qui souhaitent la signer.
Elle sera adressée au Secrétaire général des Nations Unies, aux représentants des États membres au Conseil de sécurité, au plus grand nombre de représentations de l’Assemblée générale, au Haut Représentant de l’Union européenne, au Secrétaire général de la Ligue des États arabes, au Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique et à toutes les parties concernées que nous pourrons contacter.

Déclaration pour signature:
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, Mesdames et Messieurs les représentants des États membres au Conseil de sécurité, Mesdames et Messieurs les représentants de l’Assemblée générale, Monsieur le Haut Représentant de l’Union européenne, Monsieur le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Monsieur le Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique, Mesdames et Messieurs,
Au lendemain de l’invasion flagrante de l’Ukraine par la Russie Poutine prouve qu’il n’a aucun respect pour le droit international. De même, ses arguments relatifs à la légitimité de son intervention en Syrie n’ont clairement aucune valeur tant il est évident qu’il est partie prenante directe au conflit.
– Au cours des onze années qui ont suivi le début de la révolution syrienne, le régime russe a utilisé seize fois son veto contre des projets de résolution liés à la question syrienne qui ont été soumis au Conseil de sécurité. Ceci a conduit à une obstruction systématique du rôle du Conseil de sécurité dans le maintien de la sécurité et de la paix internationale, mais aussi au blocage de toutes les tentatives visant à parvenir à un règlement juste de la question syrienne. Par conséquent, l’escalade et l’aggravation des souffrances du peuple syrien se poursuivent sur tous les plans: les tueries, les arrestations, la torture, les déplacements forcés et l’exode. Sans oublier l’utilisation par le régime d’Assad d’ armes interdites internationalement, en particulier des armes chimiques, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de déplacement forcé. Et jusqu’à présent, les responsables de ces crimes restent dans l’impunité.
– Le régime russe ne s’est pas contenté de cette obstruction systématique, son intervention militaire du 30 septembre 2015 et son soutien au régime Assad sont flagrants. Sous prétexte de combattre le terrorisme, il n’a pas hésité à bombarder plusieurs régions de Syrie en ciblant systématiquement les hôpitaux, les écoles, les boulangeries, les marchés populaires et les quartiers résidentiels, attaques qui ont entraîné la mort de dizaines de milliers de civils syriens. Aujourd’hui, il utilise la même méthode et avance le prétexte d’éradiquer les nazis en Ukraine pour justifier son agression militaire. Rappelons ici que les civils syriens tout comme les civils ukrainiens sont aussi des êtres humains.
Aujourd’hui, les régimes de Poutine et d’Assad sont devenus des spécialistes de la destruction des infrastructures et des installations civiles, qui sont pour les Syriens vitaux pour la survie, dans ses limites minimales. Tous les rapports des institutions de l’ONU et des organisations internationales rapportent aujourd’hui ces crimes et ces violations flagrantes des droits de l’homme en Syrie.
– Les expériences passées au niveau mondial ont prouvé que l’apologie du fascisme et la clémence envers les fascistes et les dictateurs sont désastreuses pour les peuples et constituent une menace pour la paix et la sécurité internationale.
Il est clair que l’agression russe contre notre peuple et l’abus du droit de veto concernant la cause syrienne sont identiques à ce qui s’est produit il y a quelques jours concernant un projet de résolution du Conseil de sécurité relatif à l’agression russe contre l’Ukraine. En effet, le veto russe a entravé la justice, il a empêché la bonne mise en œuvre de la Charte des Nations Unies, il a fait obstruction à sa bonne marche et il a contribué à empêcher l’établissement des règles nécessaires à la paix et à la sécurité internationales dans ce monde.
En conséquence, nous vous demandons de :
1- Activer l’article 27, ainsi que le troisième alinéa de l’article 52 de la Charte des Nations Unies, pour exiger que le régime russe soit empêché de voter au Conseil de sécurité sur les projets de résolution liés à la question syrienne, car il est partie prenante au conflit.
2- Déférer le dossier syrien à l’Assemblée générale des Nations Unies sous le thème « Unis pour la paix » – Résolution 377 de l’ONU – pour analyser l’aggravation de la situation humanitaire en Syrie, prendre les mesures nécessaires pour un cessez-le-feu et pour mettre fin à la tragédie syrienne.
La souffrance de notre peuple a perduré et elle ne cesse de s’aggraver, entraînant un manque de moyens de subsistance.
3- Activer les articles 5 et 6 de la Charte des Nations Unies et obtenir une décision de l’Assemblée générale pour suspendre l’adhésion du régime d’Assad ou la jouissance de ses avantages, alors qu’il a été prouvé qu’il a commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, y compris le génocide, et l’utilisation d’armes chimiques.
4- Former un organe de gouvernance de transition indépendant du régime d’Assad, qui l’a rejeté dans sa forme et son contenu, et considérer cet organe comme le représentant légal temporaire de l’État syrien, ceci en application du communiqué de Genève, de la résolution 67/262 de l’Assemblée générale de l’ONU et des résolutions 2118 et 2254 émises par le Conseil de sécurité de l’ONU.
5- Emettre une résolution par l’Assemblée générale des Nations Unies visant à déférer les auteurs de crimes de guerre en Syrie à la Cour pénale internationale et à ouvrir une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le régime syrien et ses partenaires russes et iraniens en Syrie, ou bien créer un tribunal spécial pour cela.
Enfin, notre sympathie aujourd’hui avec le peuple ukrainien a un goût particulier et extrêmement amer. Les armes qui détruisent aujourd’hui leur rêve de liberté sont les mêmes armes que celles que Poutine a utilisées auparavant contre notre peuple syrien avec une brutalité inimaginable. Poutine s’est même vanté d’avoir expérimenté en Syrie 231 nouveaux types d’armes, sans se soucier d’une communauté internationale qui a détourné son regard de notre tragédie et continue à le faire.
Par conséquent, nous attendons de l’ONU qu’elle assume ses responsabilités et déclare la mise en oeuvre de véritables mesures exécutives pour mettre fin à notre tragédie et à la tragédie de notre peuple, tout comme elle le fait pour la question ukrainienne.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, Mesdames et Messieurs les représentants des États membres au Conseil de sécurité, Mesdames et Messieurs les représentants de l’Assemblée générale, Monsieur le Haut Représentant de l’Union européenne, Monsieur le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Monsieur le Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique, Mesdames et Messieurs, l’assurance de notre plus grand respect.
Les signataires :
A ce jour, le texte a été signé par plus de 540 personnes dont des personnalités de l’opposition syrienne de toute appartenance politique et de toutes les communautés religieuses et ethniques.
FSD a traduit cette déclaration de l’arabe
Retour en enfer, seul choix laissé aux Migrant.es
Lettre ouverte adressée à M. Antonio Vitorino, directeur général de l’OIM
Monsieur le Directeur général de l’OIM,
Notre collectif Femmes Syriennes pour la Démocratie (FSD) suit avec beaucoup d’inquiétude les événements qui se passent sur la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Comme vous le savez, parmi les migrant.es qui sont pris en otage et qui risquent leur vie sur cette frontière il y a beaucoup de ressortissant.es syrien.nes.
Les dernières nouvelles indiquent que les autorités biélorusses poussent les migrant.es vers la frontière avec l’Union Européenne, qui refuse de les laisser entrer. La nourriture et l’eau manquent fortement, seule une petite quantité d’aide leur parvient du côté biélorusse alors que les forces polonaises refusent d’aider même les plus vulnérables.
Très récemment nous avons appris par Nawal SOUFI qu’actuellement les migrant.es reçoivent un papier leur donnant le choix entre déposer une demande d’asile en Biélorussie ou bien demander leur rapatriement « volontaire » via l’OIM (voir une photo de ce papier ci-après). Vous trouverez aussi, ci-joint, une traduction en français d’une interview de Nawal SOUFI, publiée sur un site d’information, en italien.

Vous n’êtes pas sans savoir que si la Biélorussie donne des visas à des ressortissant.es en quête de sécurité c’est seulement pour son propre intérêt, elle ne leur octroierait donc certainement pas l’asile. Ce qui veut dire qu’une demande d’asile aboutirait, très certainement, à leur renvoi vers leur pays d’origine. Ce qui a pour conséquence que le seul choix proposé à ces gens c’est le retour à l’enfer qu’ils tentent de fuir. Et la grande majorité de ces personnes n’a plus ni la possibilité de vivre en sécurité dans son pays d’origine ni la possibilité de le quitter. En tout les cas toutes les frontières sont fermées aujourd’hui pour les Syrien.nes.
L’implication de l’OIM dans ce « choix » de rapatriement nous surprend, alors même que les organisations de défense des droits humains lancent l’alerte contre tout renvoi vers la Syrie. Il est clair qu’aujourd’hui aucune région de la Syrie n’est sûre, selon la décision de la Cour Européenne pour les Droits de l’Homme du 14 septembre 2021.
Nous vous demandons donc d’agir rapidement pour sauver ces migrant.es (enfants, femmes et hommes) en leur donnant accès à de l’aide humanitaire tout d’abord et en les aidant ensuite à trouver un lieu et un vrai pays d’accueil.
En vous remerciant pour l’intérêt que vous porterez à cette lettre, nous vous adressons, Monsieur le Directeur général de l’OIM, nos salutations distinguées.
Femmes Syriennes pour la Démocratie
“Dans la forêt je vois mourir les réfugiés et avec eux meurt notre dignité”
Témoignage de Nawal SOUFI
Article publié le 12.11.2021 en italien sur le site Striscia Rossa et traduit en français par FSD
La situation à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne s’aggrave d’heure en heure. Désormais, les migrants, en réalité des réfugiés fuyant la guerre qui devraient être protégés par le droit international, sont devenus des «armes non conventionnelles», des otages innocents de ce qui se trame dans leur dos et à leurs dépens. En attendant que les institutions européennes prennent des décisions, c’est aux volontaires et aux activistes qu’incombe la tâche de rendre leur situation moins difficile et d’essayer d’éviter la mort de milliers de personnes bloquées dans la forêt.
Nawal Soufi par exemple, militante italo-marocaine engagée pour la défense des droits humains des migrants, que l’on connaît déjà pour l’avoir suivie sur la route des Balkans, est là pour documenter, images et témoignages effroyables à l’appui, les conséquences du jeu politique cynique où prévalent les intérêts partisans au mépris des principes humanitaires.
« Les bébés sont sans lait et les mères ne peuvent plus allaiter, car elles vivent dans des conditions inhumaines depuis longtemps » explique Nawal dans son journal de frontière. Les volontaires ne réussissent même pas à aider tous ceux qui sont dans les bois en territoire polonais : certains à seulement trois kilomètres de la frontière, d’autres plus loin, voire vingt kilomètres à l’intérieur. Pour ceux qui se trouvent sur le territoire biélorusse la situation est encore plus dramatique : ils sont complètement livrés à leur sort.

Grands coeurs
Nawal est parfois aidée par un chauffeur de taxi local pour transporter les gens à Minsk. Des trajets pour sauver la vie de ceux qui n’ont pas mangé depuis des jours. En fait, il n’y a plus grand-chose à faire à part acheter de la nourriture et la livrer à cet homme bon, qui l’apporte ensuite aux migrants.
Avant-hier une femme, après 25 jours de cet enfer, a réussi à arriver à Varsovie. Nawal a donc demandé à ses contacts sociaux de lui chercher un endroit où dormir dans cette ville. La réponse d’Italie est arrivée : heureusement, il y a beaucoup de gens au grand cœur.
La volontaire a devant les yeux des images terribles, auxquelles s’ajoutent les récits d’autres témoins : la police bloquant des familles entières, avec des enfants effrayés et affamés auxquels on refuse même de l’eau ; de jeunes Syriens arrêtés en Pologne et hospitalisés en raison de leur état critique : dès qu’ils se rétabliront, ils seront expulsés. Il semble que certains d’entre eux aient demandé l’asile politique et le droit international exige que leur volonté soit respectée. Mais il est peu probable que cela se fasse.
Une femme errant depuis des jours dans la forêt, avec la faim, le gel, la solitude, et son téléphone portable presque déchargé, était en danger de mort, heureusement elle a été rejointe et secourue. Une parmi beaucoup. Et encore, une famille de 10, petite communauté à laquelle s’ajoute chaque jour quelqu’un d’autre : « Ils ont déjà tenté huit fois de franchir la frontière polonaise et à chaque fois, après avoir demandé l’asile, ils ont été ramenés dans la forêt. Il y a des femmes dans le groupe, dont une femme âgée. Mais hier soir quelque chose de très grave s’est produit et le groupe a disparu après nous avoir envoyé ce message : un chien policier a attaqué un garçon de Deraa (Syrie) et l’ a mordu à la tête. A partir de ce moment, je n’ai plus de nouvelles. Je ne peux pas décrire ce que je ressens », explique Nawal.
Colère et frustration
On ne peut que l’imaginer, mais elle est là, suivant de près cette tragédie humanitaire, avec de la colère et un sentiment de frustration. Et puis encore des enfants, de plus en plus frigorifiés, qui ont besoin de manger : « Cette nuit entre 3 et 4 h., un hélicoptère a terrifié les petits. C’était la première fois qu’ ils ont pu s’endormir après une journée terrible », raconte-t-elle. D’autres suppliant : Dieu, j’ai faim. Et les destins individuels deviennent le paradigme d’un échec tragique. « Cet enfant – dit Nawal en choisissant un exemple parmi tant d’autres – est aux portes de l’Europe. Il est de ceux qui enterreront la dignité d’une Europe unie. Oui, l’Union européenne a perdu sa dignité à cette frontière. L’enfant tente encore de sourir, il a été amputé des deux jambes et n’a pas pu obtenir de l’eau et de la nourriture depuis trop longtemps. Peut-être qu’un jour il retournera dans son pays d’origine ou peut-être mourra-t-il près de cette frontière à cause du froid et de la faim et il nous restera la tâche ardue de nous regarder dans le miroir au cours des prochaines années ».
Oui, elle a raison, Nawal, et lorsque nous nous regarderons, nous verrons le visage de celui qui a fermé ses yeux et son cœur : le visage du bourreau et de son complice.
Le renvoi des réfugié.es syrien.nes est un crime contre l’Humanité
Dix ans après le début de la révolution syrienne, les Syrien.nes de l’intérieur poursuivent leur résistance contre le régime Assad. Depuis le début de cette année 2021, alors que la presse s’en est largement désintéressée, la Syrie revit les étapes de la révolution, à vitesse accélérée. Tout d’abord l’apparition des messages contre la réélection d’Assad qui ont envahi les murs à Sweida (au sud), ensuite les manifestations populaires, aussi bien à Idleb au nord-ouest que dans la région de Daraa au sud (sous contrôle du régime), qui scandent à nouveau les slogans de la révolution. Sans oublier la grève générale dans la région de Daraa, le jour des « élections » présidentielles, et les autres formes de résistance ailleurs en Syrie, de Damas-campagne à Alep, en passant par Homs. Les réactions répressives du régime ont été immédiates: arrestations partout en Syrie, siège de Daraa et famine imposée, suivis par les bombardements et le déplacement forcé de la population.
Les événements à Daraa ont été médiatisés et ont suscité des prises de position verbales par plusieurs pays occidentaux (la France, l’Europe et le Canada) pour dénoncer cette répression armée tout comme le refus du régime de laisser passer l’aide humanitaire dans la région assiégée.
Malgré cette résistance qui n’a jamais cessé et malgré la faillite économique de la Syrie d’Assad, le président du CICR Peter Maurer invite la communauté internationale, lors de la conférence de Bruxelles le 30 mars 2021, à augmenter l’aide humanitaire à l’intérieur de la Syrie(via le régime). Curieusement pour P. Maurer la question de la responsabilité d’Assad dans cette catastrophe doit s’effacer devant l’urgence humanitaire. On oublie là que les camps des déplacés internes dans le nord-ouest de la Syrie tout comme dans le sud sont privés d’aide humanitaire suffisante, alors que l’aide véhiculée par le régime n’atteint que très partiellement ceux qui en ont besoin.
Récemment, le haut commissaire de l’ONU pour les réfugié.es, Filippo Grandi, a fait une visite de deux jours à Damas. Il a demandé au gouvernement d’Assad d’assurer la sécurité des réfugié.es à leur retour en Syrie! Comment peut-on demander à un criminel toujours actif et à ses services de renseignements de sinistre notoriété d’assurer la sécurité de leurs victimes, qui avaient fui le pays à cause de ce même criminel et de son appareil « sécuritaire » (voir le rapport d’Amnesty International et de celui de HRW au sujet des dangers du retour des réfugiés)? D’ailleurs, une chercheuse de HRW lance une alerte contre le rapprochement visible des organisations de l’ONU avec la Syrie d’Assad.
Alors que les Syrien.nes tentent aujourd’hui encore de fuir leur pays pour trouver refuge en Europe ou ailleurs, ceci malgré les dangers de ce périple (voir le passage de la Biélorussie en Pologne), le Danemark continue de retirer les permis de séjours de certains réfugié.es syrien.nes et de les confiner dans un centre de rétention en attendant (et peut-être pour forcer) leur accord pour un renvoi vers la Syrie. Ces centres de rétention constituent une privation de la liberté de ces gens qui ont le choix entre la mort ou rester pour une période indéterminée en rétention!
La Cour Européenne pour les Droits de l’Homme a jugé un cas de renvoi de la Russie vers la Syrie, en se basant sur plusieurs rapports récents relatifs à la situation en Syrie. Elle a ainsi rendu sa décision le 14 septembre concluant que tout renvoi en Syrie pourrait mettre la vie des personnes renvoyées en danger ou bien les exposer à des mauvais traitements etc., ceci quel que soit leur statut dans le pays d’asile et quelle que soit la région dont ils sont originaires. Il semble que le Danemark ne voie pas là de raison pour changer ses pratiques.
Mazen Darwish et Mariana Karkoutly, avocat et juriste activistes syrien.es étaient récemment invité.es au Palais fédéral pour témoigner de la situation politique et humanitaire en Syrie, iels ont mis en garde explicitement contre tout renvoi des réfugié.es vers la Syrie1.
Aujourd’hui, les Syrien.nes en Europe craignent leur renvoi en Syrie. Plusieurs procès sont en cours en Europe contre les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Procès utiles et nécessaires certes, mais qui ne répondent pas à la question que se posent des centaines de milliers de syrien.nes: où est mon père? où est ma soeur? que sont-ils tous devenus?
Mazen Darwish, Mariana Karkoutly et Ibraheem Malki, activistes pour les droits humains, affirment qu’en Syrie seuls la justice et le principe de la responsabilité permettront à une solution politique d’émerger et d’acheminer le pays vers une paix durable. Iels demandent à la Suisse d’utiliser la compétence universelle dans le cas du dossier syrien1.
Quant à Tawfik Chamaa, médecin d’origine syrienne à Genève, membre fondateur de l’UOSSM, il rappelle que la crise économique en Syrie est aggravée par le COVID, en particulier dans la région nord-ouest qui abrite la majorité des déplacé.es forcé.es. Il appelle la Suisse à l’aide pour obtenir sans délai des doses de vaccin en quantité suffisante dans cette région1.
Ne fermons pas les yeux sur l’évidence que le renvoi des réfugié.es syrien.nes en Syrie serait aujourd’hui un crime contre l’Humanité et que seule une transition politique sans le régime Assad peut changer cette situation.
Assad n’est pas un rempart contre le terrorisme, il en est l’instigateur (voir l’intervention de I. Malki).
1 Voir les interventions de M. Karkoutly, de M. Darwish, de I. Malki et de T. Chamaa
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (4/4 I. Malki)
Quatre intervenant.es syrien·nes, engagé.es dans la défense des droits humains du peuple syrien, étaient présent·es au Palais fédéral jeudi 30 septembre 2021, à l’invitation du parlementaire Christian Dandrès, pour témoigner de la situation humanitaire et politique en Syrie, et parler des procès menés en Europe contre des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Syrie. Les conséquences terribles du COVID ont aussi été au centre de la discussion. Dix ans après le début du soulèvement populaire, les activistes de la société civile et la population civile résistent toujours face à un régime dictatorial et criminel.
Les intervenant·es sont selon l’ordre d’intervention:
Mariana KARKOUTLY, juriste syrienne exilée en Allemagne, enquêtrice pour la poursuite des crimes commis en Syrie depuis 2011
Mazen DARWISH, avocat syrien exilé en France, fondateur et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression
Tawfik CHAMAA, médecin suisse d’origine syrienne, membre fondateur de l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux (UOSSM)
Ibraheem MALKI, avocat et activiste syrien exilé en Suisse, membre de la Commission de défense des détenus d’opinion arrêtés à la suite de l’arrestation des membres de la déclaration de Damas en 2006 et membre du Centre syrien pour la justice et pour l’obligation de rendre des comptes.
Les interventions ont été traduites en français par FSD et sont publiées ci-après.
Intervention de Ibraheem Malki 4/4
Je suis l’avocat Ibraheem Malki, membre du comité pour la défense des détenu.es en Syrie, ancien détenu et aujourd’hui je suis réfugié en Suisse.
Je remercie mes collègues qui ont abordé la question des violations en Syrie. A la lumière de ces violations, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis par Bachar al-Assad envers les Syrien.nes, on se demande comment le monde tout entier et en particulier les pays actifs dans les droits humains, y compris la Suisse, n’en sont pas venus à l’évidence que ce dictateur est un criminel? Les crimes continuent en Syrie, le monde reste silencieux, et il y a là une lacune dans le principe de la responsabilité.
La Syrie a vécu ces dernières années et vit toujours un conflit armé brutal, des attaques aveugles par bombardements aériens, tuant des civils, détruisant des villes et utilisant des armes chimiques toxiques sur le peuple syrien. L’injustice, l’oppression et la brutalité ont été et sont encore le langage du régime, de ses services de renseignement et de ses forces armées pour faire face aux syrien.nes pacifiques. Et dans cette brutalité, Bachar al-Assad a eu et tient encore le rôle principal qui a conduit à la tragédie du peuple syrien qui se poursuit.
Et à propos de ces crimes, qui touchent aussi Europe et de la propagation du terrorisme en Europe, ils portent aussi la signature d’Assad, criminel de guerre par excellence.
Nous, en tant que Syrien.nes, voulons la justice. Nous ne nous vengeons pas, nous voulons respecter le principe de la justice, même s’il est quelque peu incomplet. Il n’est pas possible de résoudre le problème de la Syrie sans le principe de la responsabilité. Ensuite viendra la réconciliation, et la suite. Même la question de la stabilité et de la solution politique ne peut se régler sans régler d’abord la question de la responsabilité.
Aujourd’hui, je m’adresse ici au Conseil Fédéral, qui incarne une histoire d’humanité et de valeurs humaines, héberge les conventions de Genève et leurs protocoles qui ont été établis en Suisse, et de nombreuses organisations internationales de défense des droits humains: « Vous ne devriez pas fermer les yeux sur l’impunité ni accepter l’idée que Bachar al-Assad soit maintenu comme président reconnu et agréé par les Etats Unis ou l’Europe ».
En Syrie maintenant, nous n’avons pas d’autre choix que de revendiquer la justice. Vous savez que certaines instances pour rendre justice ne sont pas accessibles à cause du veto russe qui empêche l’accès à la Cour pénale internationale d’une part et à cause de la présence du régime à l’intérieur de la Syrie d’autre part. Par conséquent, nous demandons l’application du principe de la compétence universelle qui pourrait être appliqué pour les violations graves commises en Syrie. Deux pays, l’Allemagne et la Norvège, ont instruit des procès basés sur ce principe. Le tribunal de Coblence en est l’exemple, où deux anciens responsables qui travaillaient pour les renseignements généraux en Syrie, dans la branche de Damas, sont jugés:
– Eyad A. qui a été condamné à quatre ans de prison pour avoir commis une trentaine de crimes contre l’humanité.
– Le général Anwar R. qui est actuellement jugé pour des crimes contre l’humanité, et pour qui le verdict sera rendu dans deux mois. L’avocat Brooker s’attend à ce que le verdict soit de plus de vingt ans et puisse atteindre la réclusion à perpétuité.
La juge Catherine Marchi-Uhel, responsable du mécanisme international impartial et indépendant de l’ONU situé à Genève, a estimé que le tribunal de Coblence est le premier tribunal au monde à rendre un verdict de condamnation pour des violations commises en Syrie. Bien sûr, ce résultat doit beaucoup à de nombreuses personnalités, des procureurs, des enquêteurs et des professionnels du droit. Il y a 12 procès en cours en Europe (en Allemagne, Norvège, France, Suède, Pays-Bas et Autriche). Alors qu’en Suisse, il y a qu’une procédure contre Rifaat al-Assad (oncle de Bachar al-Assad) mais qui n’avance pas. Trial International a accusé le procureur général suisse d’avoir ralenti la mise en oeuvre de la procédure contre Rifaat al-Assad. Une dénonciation pénale de Trial contre Rifaat al-Assad a eu lieu en 2013 et ensuite la procédure a été gelée. Elle a été réactivée en 2017, puis elle a été gelée encore une fois. Il semble qu’il n’y ait pas de volonté politique pour aller de l’avant avec ce dossier, alors que la Suisse est un pays neutre et le lieu de la solution de nombreux problèmes et réconciliations par excellence.
Selon José de la Mata, le juge espagnol qui examine le procès intenté par l’Espagne contre Rifaat al-Assad, celui-ci posséderait une fortune en Suisse depuis 1984. L’argent volé à la Syrie serait en partie en Suisse.
Nous attendons avec espoir que la Suisse joue un rôle important en ouvrant les portes à la poursuite des auteurs de crimes de guerre (notamment Rifaat al-Assad*, auteur de massacres à Palmyre et à Hama). La Suisse a l’expérience, l’intégrité, la justice, l’impartialité, une force économique, une expertise technique et diplomatique, et peut supporter des charges financières, mais elle a besoin de volonté politique.
Je vous remercie pour votre écoute. Je vous remercie d’avance d’écouter les victimes des violations à l’encontre des détenu.es d’opinion et les prisonniers de Syrie et pour écouter les demandes du peuple syrien pour mettre fin à sa souffrance. Car vous portez en vous la même humanité que nous tou.tes dans ce monde.
* Rifaat al-Assad retourne en Syrie le 7 octobre 2021 pour y trouver refuge et éviter la condamnation qui a été confirmée en France. Plus d’information sur le site de Trial International
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (1/4 M. Karkoutly)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (2/4 M. Darwish)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (3/4 T. Chamaa)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (3/4 T. Chamaa)
Quatre intervenant.es syrien·nes, engagé.es dans la défense des droits humains du peuple syrien, étaient présent·es au Palais fédéral jeudi 30 septembre 2021, à l’invitation du parlementaire Christian Dandrès, pour témoigner de la situation humanitaire et politique en Syrie, et parler des procès menés en Europe contre des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Syrie. Les conséquences terribles du COVID ont aussi été au centre de la discussion. Dix ans après le début du soulèvement populaire, les activistes de la société civile et la population civile résistent toujours face à un régime dictatorial et criminel.
Les intervenant·es sont selon l’ordre d’intervention:
Mariana KARKOUTLY, juriste syrienne exilée en Allemagne, enquêtrice pour la poursuite des crimes commis en Syrie depuis 2011
Mazen DARWISH, avocat syrien exilé en France, fondateur et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression
Tawfik CHAMAA, médecin suisse d’origine syrienne, membre fondateur de l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux (UOSSM)
Ibraheem MALKI, avocat et activiste syrien exilé en Suisse, membre de la Commission de défense des détenus d’opinion arrêtés à la suite de l’arrestation des membres de la déclaration de Damas en 2006 et membre du Centre syrien pour la justice et pour l’obligation de rendre des comptes.
Les interventions ont été traduites en français par FSD et sont publiées ci-après.
Intervention de Tawfik Chamaa 3/4
La situation humanitaire en Syrie est la catastrophe humanitaire la plus importante depuis la 2e guerre mondiale.
Dès le début des manifestations en 2011, l’action humanitaire en soi a été prise en otage. Les civils qui manifestaient pacifiquement dans la rue étaient pris pour cible et tirés à balles réelles, Les médecins et les soignant.es qui voulaient soigner les premiers blessés, étaient capturés, médecins et infirmier.es. C’est ainsi que notre organisation l’UOSSM a vu le jour.
Les quartiers d’où sortaient les manifestations étaient bombardés, quelques hôpitaux aussi. Même les soignant.es du croissant rouge, qui étaient en faveur de l’égalité des soins pour tous, ont été exfiltré.es, capturé.es et liquidé.es.
Cette situation a continué pendant les dix ans qui ont suivi, ce qui a créé une catastrophe humanitaire qui n’a pas d’équivalent depuis la 2e guerre mondiale. Le bilan aujourd’hui est lourd: 70% des infrastructures pour les services aux civils ont été détruites, les hôpitaux, les stations d’épuration de l’eau, les stations électriques, etc. Alors que des images des centres villes, qui n’ont pas été touchés, circulent pour la propagande spécialement.
Tout au long de cette période, des régions ont été assiégées en continu. Lorsque le siège de certaines régions était rompu d’autres régions étaient assiégées par la suite. Et jusqu’à très récemment, nous avions environ un million de personnes qui étaient assiégées dans le sud. Vous en avez sans doute entendu parler pour la région de Daraa, qui a été bombardée et où la population souffrait de manque de pain et de nourriture. Les sièges qui ont duré longtemps n’ont pas eu d’équivalents dans l’histoire, car même les Nazis ne bombardaient pas les hôpitaux et laissaient les soins accessibles aux deux parties.
L’aide humanitaire qui parvenait à être livrée dans les régions assiégées étaient amputée de tout ce qui est médical, médicaments et kits de chirurgie, même suite à des accords signés.
Lorsque vous entendez dire que la population a été transférée dans le nord c’est que ces résidents des régions assiégées n’avaient pas le choix. Comment feriez vous si vous aviez une famille et des enfants pour rester sans soins? C’est la façon de faire la plus efficace pour parvenir à ce qu’on peut appeler l’épuration ethnique ou l’évacuation ou simplement vider ces régions de leurs habitants. Vider des villages et des villes entières tout simplement en les privant d’accès aux soins médicaux.
Cibler des hôpitaux avec des bombardements était systématique, c’est prouvé et ça a fait l’objet de plusieurs rapports. Les médecins ont été ciblé.es, nous avons plusieurs témoignages. Des milliers ont été tués ou blessé.es et aucun ne portait une arme. 3’300 personnes du corps médical ont été arrêtés ou sont disparus forcés.
La moitié des Syriens ont été obligés de fuir leur pays ou leur région dont la moitié sont des réfugiés et l’autre moitié sont des déplacés internes. 350’000 morts jusqu’ à aujourd’hui c’est le chiffre qui a été donné en dernier en 2014 par l’ONU et c’est là que le compteur a été arrêté. C’est ce même chiffre qui est apparu il y a quelques jours dans la presse mondiale. Je me permets de vous proposer de le multiplier par deux ou par 3 parce que la tuerie en Syrie ne s’est pas arrêtée et chaque jour les bombardements continuent.
En dix ans nous avons eu 300’000 handicapés physiques et nous avons dû créer des centres pour les appareiller avec des jambes ou des bras, ceci avec l’aide internationale. Jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas fini de les appareiller. Jamais une guerre n’a produit proportionnellement autant d’handicapés. Il faut savoir que les snipers, jusqu’il y a encore deux ou trois ans ciblaient la colonne vertébrale pour créer une paraplégie. Ces snipers étaient entrainés pour créer des handicapés. Les atrocités commises n’ont pas d’équivalent dans l’histoire. Des millions d’handicapés psychologiques, psychiatriques et psycho-sociaux sans oublier qu’on a 300’000 orphelins. 600 des familles qui s’occupent d’une partie de ces orphelins sont soutenues par l’UOSSM suisse , à la frontière de la région d’Idleb. Nos centres de soutien pour les cas psychiatriques et psycho-sociaux ne sont absolument pas suffisants pour cette catastrophe. Tous les Syriens réfugiés, déplacés internes ou même ceux qui se trouvaient déjà à l’extérieur de la Syrie depuis longtemps sont traumatisés.
Concernant le COVID, pour la région du nord-est de la Syrie sous contrôle des forces kurdes et zone d’influence des américains, il y a 1.1 million d’habitants et le nombre de doses arrivées dans cette région pourtant accessible est de 17’500. Le taux de vaccination est inférieur à 1 pour mille. Dans le seul nord ouest de la Syrie, nous comptons 50 à 100 morts par jour et la vaccination est quasi inexistante. Les 300 à 400 000 premières doses arrivées en Syrie sont toutes allées à l’armée.
Si il y a une situation grave c’est celle dans la région controlée par le régime. J’ai de la famille là-bas et ils ne savent pas comment obtenir du pain. Ce mois, en 17 jours, plus de 70’000 syriens ont quitté la Syrie. Le chanceux est celui qui quitte le pays, 45% sont allés en Egypte qui a ouvert la frontière et c’est pour leur survie qu’ils partent.
J’espère qu’à court terme, on pourra recevoir des doses de vaccin dans la région du nord syrien. Arriver à 50 à 100 morts par jour, pour une population de 4 millions d’habitants, c’est une véritable catastrophe.
A moyen terme, on espère que la Suisse soutiendra des positions qui vont dans le sens d’empêcher la transformation de la Syrie en une 2e Corée du nord, ce qui serait une catastrophe pour toute l’Humanité et pas seulement pour la Syrie.
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (1/4 M. Karkoutly)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (2/4 M. Darwish)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (4/4 I. Malki)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (2/4 M. Darwish)
Quatre intervenant.es syrien·nes, engagé.es dans la défense des droits humains du peuple syrien, étaient présent·es au Palais fédéral jeudi 30 septembre 2021, à l’invitation du parlementaire Christian Dandrès, pour témoigner de la situation humanitaire et politique en Syrie, et parler des procès menés en Europe contre des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Syrie. Les conséquences terribles du COVID ont aussi été au centre de la discussion. Dix ans après le début du soulèvement populaire, les activistes de la société civile et la population civile résistent toujours face à un régime dictatorial et criminel.
Les intervenant·es sont selon l’ordre d’intervention:
Mariana KARKOUTLY, juriste syrienne exilée en Allemagne, enquêtrice pour la poursuite des crimes commis en Syrie depuis 2011
Mazen DARWISH, avocat syrien exilé en France, fondateur et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression
Tawfik CHAMAA, médecin suisse d’origine syrienne, membre fondateur de l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux (UOSSM)
Ibraheem MALKI, avocat et activiste syrien exilé en Suisse, membre de la Commission de défense des détenus d’opinion arrêtés à la suite de l’arrestation des membres de la déclaration de Damas en 2006 et membre du Centre syrien pour la justice et pour l’obligation de rendre des comptes.
Les interventions ont été traduites en français par FSD et sont publiées ci-après.
Intervention de Mazen Darwish, 2/4
Je remercie ma collègue Mariana de nous avoir rappelé quelques femmes syriennes d’exception, et je suis fier de connaître la plupart d’entre elles, dont ma collègue Razan Zaitouneh.
La source de ma fierté pour ces femmes n’est pas que nous partagions la même nationalité syrienne, mais le fait que malgré la diversité de nos affiliations sectaires et ethniques, et même de nos positions politiques, nous avons tou.tes pu participer ensemble au rejet du régime tyrannique pour essayer d’atteindre la démocratie en Syrie.
Les efforts d’un groupe de femmes, en particulier les victimes, nous ont permis en tant que défenseurs des droits humains et en tant qu’organisations civiles syriennes et internationales, d’essayer d’obtenir justice par le biais des tribunaux européens en utilisant la compétence universelle. Ceci a été le cas pour les procédures lancées en France, en Allemagne et en Suède suite à l’utilisation d’armes chimiques.
Razan Zaitouneh était à Douma (ville de la Ghouta de Damas), avec l’équipe de travail du VDC (Centre de documentation des violations), lors de l’attaque chimique d’août 2013. La présence des victimes arrivées en Europe et leur courage nous ont permis de lancer la procédure.
L’utilisation d’armes chimiques, au 21e siècle, s’est malheureusement produite et s’est répétée des centaines de fois contre des civils.
L’une de mes connaissances, vivant dans les zones contrôlées par le régime à proximité des zones de la Ghouta, est une personne très éloignée de mes positions politiques et de celles en faveur des droits humains. Cette personne veut simplement vivre en paix. Mais cette personne m’a dit qu’elle était heureuse que notre centre se soit impliqué dans la procédure contre les responsables de l’utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta. Ce fût une surprise pour moi et je lui en ai demandé la raison, surtout qu’elle n’avait jamais exprimé de prise de position contre le régime, ni aucune opposition. Sa réponse a été que si le vent avait tourné ce jour-là, le gaz chimique aurait pu atteindre sa maison et tuer sa famille. Pour cette personne, ce régime représentait simplement une menace pour l’humanité et pour tous les gens, quelles que soient leurs affiliations sectaires, ethniques et politiques. Les armes utilisées par le régime contre les civils, comme les armes chimiques et les barils d’explosifs ne faisant aucune distinction entre les loyalistes et les opposants au régime.
Lorsque nous utilisons les outils disponibles pour obtenir justice, notre motivation n’est pas la vengeance, ça n’est pas non plus parce que nous sommes des victimes de la torture ou à cause de la perte de ceux que nous aimions. Au contraire, nous voulons la paix et nous voulons un avenir sûr pour nos enfants afin qu’ils ne vivent pas la même expérience que nous avons vécue. Mais comment parvenir à une paix durable ?
Tout accord politique entre les parties du conflit, sans tenir compte de la question de la justice, de la responsabilité et des droits des victimes, ne sera qu’un cessez-le-feu. Un tel accord ne fera pas la paix et ne sera pas durable. Sans justice, sans responsabilité, et sans parvenir à une véritable transition politique, un tel accord se résumerait à donner du temps aux parties en conflit, et au régime en particulier, pour recharger leurs armes et pour préparer une nouvelle guerre motivée par la vengeance, et à cause de l’absence de justice.
Je fais partie des réfugiés en Europe et je suis reconnaissant d’être maintenant en sécurité, mais je souhaite sincèrement pouvoir retourner un jour dans mon pays pour reprendre ma profession, mon bureau, mon pays, la langue que je maîtrise et retrouver les régions que je connais. Mais aujourd’hui, nous sentons, nous les réfugiés, qu’on attend de nous de retourner dans une Syrie toujours dirigée par le même régime qui a causé notre fuite, avec la domination des mêmes services de sécurité qui nous ont arrêtés; et je souligne que ma dernière arrestation a duré environ quatre ans.
Si vous avez entendu parler des photos de César (images des corps des détenu.es mort.es sous la torture), elles sont bien réelles, et j’aurais pu faire partie de ces photos et j’ai été le témoin direct de ces exactions. C’est pourquoi, quand on envisage aujourd’hui de nous renvoyer sous le même régime, avec les mêmes appareils sécuritaires, avec les mêmes conditions… Pour moi, ce serait donner à notre tueur une autre chance de nous tuer. Et comme malheureusement la première fois il n’a pas pu nous éliminer, on nous demande cette fois d’emmener nos enfants avec nous. Je ne pense pas que ce soit juste ou acceptable.
Si nous voulons vraiment que les réfugiés puissent rentrer en Syrie, nous devons nous assurer qu’il y ait une vraie transition politique et qu’il y ait justice et responsabilité en Syrie.
Nous voulons également la justice et la responsabilité afin d’éliminer le terrorisme, et nous avons souffert du terrorisme et de l’extrémisme, et nous sommes contre le terrorisme et l’extrémisme en Syrie. Mais je ne pense pas que l’utilisation des moyens militaires pour éliminer le terrorisme et l’extrémisme soit la bonne méthode. La même erreur a été faite en Irak en 2006 où les États-Unis et leurs alliés ont formé une coalition internationale et ont bombardé al-Qaïda et tué al-Zarqawi sans justice, sans principe de responsabilité, sans garantir la démocratie et sans le développement du pays en parallèle. Ce n’était pas la bonne méthode, car en quelques années l’Etat islamique a émergé.
Si nous allons en Syrie pour combattre le terrorisme de la même manière, en utilisant uniquement des moyens militaires, tout en maintenant une dictature sectaire au pouvoir et sans obtenir justice et satisfaction pour les victimes, alors nous instaurerions l’émergence d’un nouveau groupe terroriste avec un nouveau nom, non seulement en Syrie mais en Europe aussi.
Ces organisations terroristes ont besoin d’un oxygène particulier pour survivre. Leur oxygène c’est les personnes et les jeunes qui ressentent l’injustice, la persécution, le manque d’intérêt et qui ressentent le désespoir de la justice et de la loi. Ces personnes là sont les plus susceptibles de devenir des loups solitaires et d’aller vers l’extrémisme.
Je vais évoquer ici les « élections » présidentielles et la restauration de la légitimité en Syrie…
Mon expérience des élections c’est celles de 2014 que j’ai vécu en Syrie. Nous étions environ 8000 personnes détenues dans une prison civile, et nous avons été traduits devant le tribunal du terrorisme pour des accusations de terrorisme, par le régime. Nous étions 8000 personnes absolument opposées au régime.
Le résultat des « élections démocratiques » de 2014 au sein de notre prison a conclu que 99,8% des opposants que nous étions « ont élu » Bachar al-Assad! C’est ça les élections sous le contrôle du régime Assad et c’est ça les élections qui se déroulent au Moyen-Orient sous les dictatures.
Les civils de l’intérieur de la Syrie, de Deraa à Idlib, ont largement démontré, par la poursuite des manifestations, que les élections de mai 2021 n’ont eu aucune forme démocratique et n’ apportent donc aucune légitimité à aucune autorité politique.
En effet, ces Syriens qui pour la plupart sont à l’intérieur du pays, s’accrochent toujours à nos revendications de justice et de démocratie. Et nous sommes surpris de voir qu’ils ne sont pas fatigués, eux qui sont à l’intérieur de la Syrie, alors que nous à l’extérieur le sommes.
J’ai un seul ami suisse. Mon ami est fier que la Suisse puisse accueillir la rencontre de Biden et Poutine, les présidents des deux pays les plus puissants du monde. Il est aussi fier de l’équipe nationale de football qui a fait des progrès remarquables récemment, et surtout, il est fier que la Suisse soutienne financièrement des organisations concernées par la justice en Syrie, comme la nôtre….
Nous espérons que vous préserverez la fierté de mon ami et que les positions politiques suisses et l’argent des impôts n’iront pas aux criminels de guerre ni aux mauvaises orientations.
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (1/4 M. Karkoutly)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (3/4 T. Chamaa)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (4/4 I. Malki)
Situation Humanitaire et Politique en Syrie: Témoignages au Palais Fédéral (1/4 M. Karkoutly)
Quatre intervenant.es syrien·nes, engagé.es dans la défense des droits humains du peuple syrien, étaient présent·es au Palais fédéral jeudi 30 septembre 2021, à l’invitation du parlementaire Christian Dandrès, pour témoigner de la situation humanitaire et politique en Syrie, et parler des procès menés en Europe contre des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Syrie. Les conséquences terribles du COVID ont aussi été au centre de la discussion. Dix ans après le début du soulèvement populaire, les activistes de la société civile et la population civile résistent toujours face à un régime dictatorial et criminel.
Les intervenant·es sont selon l’ordre d’intervention:
Mariana KARKOUTLY, juriste syrienne exilée en Allemagne, enquêtrice pour la poursuite des crimes commis en Syrie depuis 2011
Mazen DARWISH, avocat syrien exilé en France, fondateur et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression
Tawfik CHAMAA, médecin suisse d’origine syrienne, membre fondateur de l’Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux (UOSSM)
Ibraheem MALKI, avocat et activiste syrien exilé en Suisse, membre de la Commission de défense des détenus d’opinion arrêtés à la suite de l’arrestation des membres de la déclaration de Damas en 2006 et membre du Centre syrien pour la justice et pour l’obligation de rendre des comptes.
Les interventions ont été traduites en français par FSD et sont publiées ci-après.
Intervention de Mariana Karkoutly 1/4
Cher.es invité.es,
Je m’appelle Mariana Karkoutly. Je suis une femme syrienne déplacée de force en Syrie et je suis aujourd’hui réfugiée en Allemagne.
Aujourd’hui et dix ans après le début de la révolution en Syrie, qui a commencé par les revendications des Syrien.nes pour leurs droits humains fondamentaux, la justice, la liberté et la dignité, beaucoup de mes ami.es et des membres de leurs familles sont toujours emprisonné.es ou considéré.es comme disparu.es en Syrie, simplement parce qu’ils ont manifesté contre une dictature.
À ce jour, ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Syrie – notamment des attaques aux armes chimiques contre des civils, des actes de torture, des violences sexuelles dans les centres de détention, des sièges, la famine imposée et d’innombrables autres traitements inhumains – restent dans l’impunité.
En même temps, nous, Syrien.nes dispersé.es dans le monde, devons vivre dans la crainte constante d’être expulsé.es des pays où nous avons trouvé refuge.
Aujourd’hui, on estime qu’il y a plus de 150’000 personnes disparues ou détenues en Syrie, et nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir combien d’entre elles sont en vie ou sont mortes sous la torture.
L’Observatoire syrien des droits de l’homme a recensé la mort d’environ 389’000 personnes en Syrie – 117’000 civils, dont 22’000 enfants, 14 000 femmes et 81 000 hommes.
Aujourd’hui encore, le régime syrien utilise le siège et la famine imposée comme arme de guerre en de nombreux endroits, et tout récemment à Daraa.
Dix ans après le début de la révolution, la Syrie est un pays déchiré par la guerre, où la société civile vit dans une situation économique terrible et dans la crainte des arrestations et des disparitions forcées.
Depuis le 6 juin 2020, des personnes ont manifesté à plusieurs reprises dans la ville de Sweida, à majorité druze, pour protester contre la dégradation constante des conditions de vie. Les slogans politiques de ces manifestations vont jusqu’à demander le renversement du régime syrien. Ils tiennent le dirigeant Bachar al-Assad pour personnellement responsable de l’impossibilité de résoudre les nombreuses crises sociales et nationales. Aujourd’hui encore – et après tout ce qu’ils ont perdu – les Syrien.nes réclament leur liberté.
Pendant ce temps, le régime syrien et ses alliés planifient des projets de reconstruction dans le pays, avec pour objectif un changement démographique dans des régions comme le nord de la Syrie. La reconstruction d’un pays dirigé par une dictature et des criminels de guerre ne devrait pas être possible. La reconstruction d’un pays dont la moitié de la population a été tuée, a disparu ou a fui ne devrait être ni possible ni soutenue.
Le rapport d’Amnesty International de septembre 2021 « Vous allez à votre mort » sur la situation en Syrie souligne que les personnes qui retournent en Syrie sont emprisonnées ou disparaissent. Plus précisément, le rapport indique – et je cite:
« Les services de renseignements syriens ont soumis les Syrien.nes qui sont rentré.es chez eux, après avoir cherché refuge à l’étranger, à la détention, à la disparition et à la torture, y compris des violences sexuelles. L’organisation a documenté un catalogue de violations horribles commises par des agents du renseignement syrien contre 66 rapatriés, dont 13 enfants. Parmi ces violations, Amnesty International a documenté cinq cas dans lesquels des détenus sont morts en détention après leur retour en Syrie, tandis que le sort de 17 personnes disparues forcées reste inconnu. »
À ce jour, les familles des personnes détenues ou disparues ne savent rien du sort de leurs proches ni de l’endroit où ils se trouvent. L’une d’entre elles est Razan Zeitoneh. Razan, célèbre avocate, militante et journaliste syrienne spécialisée dans les droits de l’homme, a consacré sa vie à la défense des prisonniers politiques, à la documentation des crimes contre l’humanité et au soutien de ceux qui ont tenté de se libérer de l’oppression. Elle est co-fondatrice des Comités de coordination locaux (LCC) – un réseau national de comités de quartier – et du Centre de documentation des violations (VDC), qui documente les violations des droits de l’homme en Syrie depuis le début de la révolution en 2011. Avec son mari et deux collègues (à savoir : Samira Khalil, Nazem Hamadi et Wael Hamada), elle a disparu à Douma le 9 décembre 2013 après qu’un groupe d’hommes armés ait pris d’assaut le bureau du centre de documentation. Personne n’a entendu parler d’eux depuis.
Dans un rapport pour le magazine « Rise to freedom » – l’un des magazines fondés dans le sillage de la révolution en Syrie – Razan a parlé de la révolution syrienne et a dit, je cite :
« Malgré la peur qui se lit dans leurs yeux, chacun parle avec certitude de la liberté que seuls les Syrien.nes révolté.es connaîtront. La liberté construite par la victoire sur les fronts, mais aussi en n’oubliant jamais que nous ne construirons pas notre État sur des cadavres ni n’endosserons l’habit du régime, et notre vengeance sera d’obtenir justice ». Fin de la citation.
Razan Zeitoneh, Huda al-Khayty, Fadwa Mahmoud, Mariam al-Hallak, Joumana Seif, Nawal al-Yazji, Sabah al-Hallak, Majdolin Hassan, Leen al-Wafai, Samiha Nader, Hasiba Abd al-Rahman, Ferdos al-Bahra, Amina Kholani et bien d’autres femmes étonnantes et fortes, qui ne peuvent révéler leurs identités pour des raisons de sécurité jusqu’à aujourd’hui, ont ouvert la voie et se sont battues contre les lois discriminatoires à l’égard des femmes dans le cadre de la législation sur le statut des personnes avant même le début de la révolution. Elles ont apporté une contribution très importante en documentant les violations des droits de l’homme et les atrocités commises en Syrie. De nombreux avocat.es syrien.nes, aujourd’hui dispersé.es dans la diaspora, travaillent actuellement à l’ouverture de dossiers relatifs aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité en Syrie. Ils mettent en lumière les nombreux actes de violence sexiste et sexuelle dont sont victimes les Syrien.nes dans les centres de détention, les sièges de régions et autres contextes propres aux conflits.
Lors du premier procès au monde, en Allemagne, de deux individus ayant commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Syrie, Anwar R. et Eyad A., procès connu sous le nom de procès al-Khatib, deux avocates spécialisées dans les droits de l’homme, Joumana Seif et Alexandera LiLi Kather, ont présenté une affaire faisant suite au procès al-Khatib et portant sur les crimes impliquant des violences sexuelles et sexistes en Syrie, ceci au nom de l’ECCHR et des victimes et survivant.es de violences sexuelles et sexistes.
Tous ces efforts déployés par les femmes syriennes, depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui, devraient être évoqués en présentant les femmes syriennes comme des actrices actives et non comme des victimes ou des membres passives de la communauté syrienne.
De plus, sans les immenses efforts des organisations de la société civile syrienne, des avocat.es et des militant.es syrien.nes, le processus d’utilisation de la compétence universelle comme outil pour poursuivre les criminels de guerre syriens en Europe n’aurait pas été possible.
Outre le principe selon lequel il ne doit pas y avoir de refuge pour les criminels de guerre et l’intention de faire des efforts conjoints entre les Syriens et certaines autorités de poursuite européennes pour rattraper ces criminels, les survivant.es et les victimes doivent pouvoir bénéficier de la sécurité en Europe.
En juillet 2012, la Croix-Rouge a qualifié les crimes en Syrie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La lutte pour la liberté et la justice se poursuit aujourd’hui. Nous constatons actuellement des efforts pour enquêter sur les crimes commis en Syrie et pour ouvrir des dossiers dans différents pays européens en utilisant la compétence universelle. Nous saluons ces efforts et appelons les autres pays européens à utiliser activement la compétence universelle, car les crimes qui ont été et sont toujours commis en Syrie aujourd’hui ne sont pas seulement dirigés contre les Syrien.nes, mais contre toute l’humanité.
Je travaille actuellement avec ma collègue Leila, sur les massacres dans les zones assiégées du sud de Damas, dans le cadre d’un dossier plus large qui considère la famine comme crime de guerre et crime contre l’humanité. Nous avons lancé notre enquête suite à l’initiative suisse de 2019, qui proposait de poursuivre comme criminels de guerre les responsables des actions entreprises en vue d’affamer des civils dans des pays comme la Syrie et le Yémen pendant la guerre. Les 122 États membres de la Cour pénale internationale ont approuvé à l’unanimité la proposition suisse lors de leur session annuelle de 2019 à La Haye. Selon le ministère suisse des Affaires étrangères, cette initiative vise à renforcer la protection des victimes dans les conflits.
Depuis lors, nous avons commencé à enquêter sur ces crimes commis dans le sud de Damas. Et à ce jour, nous avons recueilli plus de 40 témoignages de violations des droits de l’homme commises dans la région.
À la suite de notre travail, avec Yasmin Nahlawi et un groupe d’avocates syriennes, nous avons lancé une initiative appelée « Huquqyat », qui vise à former des juristes syriennes pour qu’elles puissent travailler sur les enquêtes relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité en Syrie, et élaborer des dossiers qui permettront d’appliquer la compétence universelle dans divers États européens.
Aujourd’hui, en tant que Syrien.nes œuvrant pour que les responsables des crimes contre les droits de l’homme commis en Syrie rendent des comptes, nous demandons au gouvernement suisse d’envisager des efforts conjoints avec d’autres pays européens tels que la Norvège, la Suède et l’Allemagne pour enquêter sur les crimes de guerre et faire en sorte que les criminels de guerre rendent des comptes. Nous appelons le gouvernement suisse à écouter et à prendre en compte les demandes de la société civile syrienne et à soutenir les Syrien.nes dans leurs revendications pour une future Syrie juste, sûre et libre.
La Syrie ne sera pas un pays sûr tant qu’elle sera dirigée par un dictateur.
La Syrie ne sera pas un pays sûr tant que les Syrien.nes subiront des arrestations et des disparitions forcées.
Il ne peut y avoir de paix dans un pays où les criminels de guerre ne sont pas tenus responsables des crimes qu’ils ont commis.
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